L'Etat américain n'a jamais pu s'endetter à des taux aussi bas qu'en ce moment.
Cette dépêche Bloomberg nous dit que les bons du trésor américain se sont appréciés de 12,4% en moyenne en 2008 ce qui serait la meilleure année depuis l'an 2000 (+13,4%). Il y a six mois, c'est le pétrole qui battait des records, aujourd'hui s'il y a des excès quelque part sur les marchés, un secteur dans lequel on voit des choses jamais vues, des niveaux jamais atteints, c'est bien dans le marché de la dette d'Etat américaine.
Dans le chaos financier absolu qui règne et devant les perspectives désastreuses de l'économie mondiale, les investisseurs affirment que l'Etat américain est encore, sur cette planète, le meilleur risque de crédit. On dit qu'en dernier ressort, la monnaie la plus forte est celle qui s'appuie sur l'armée la plus puissante et on peut se demander dans quelle mesure l'analyse financière ne se rapproche pas tous les jours un peu plus de ce degré zéro de sophistication (après avoir atteint des sommets de complexité il y a 18 mois, la chute est rude pour les jeunes financiers qui pensaient avoir fortune faite en quelques années grâce à leur maîtrise de deux ou trois formules mathématiques - et d'Excel).
Les marchés ont d'abord vécu dans l'illusion de la solvabilité des emprunteurs subprime et prime, puis dans l'illusion de la solvabilité des réhausseurs de crédit, puis dans l'illusion de la solvabilité des institutions financières américaines. Ils se cramponnent désormais à la seule illusion qu'il leur reste: la solvabilité de l'Etat américain. Comme les petits cochons finalement réfugiés dans la maison de brique (last AAA standing ), ils se disent que cette fois-ci, le loup (la réalité économique) sera découragé. J'ai peur que leur destin ne soit plus tragique que celui des petits cochons de l'histoire.
Les investisseurs semblent pour l'heure satisfaits de n'obtenir que le taux d'intérêt minimum payé par l'Etat (3% à 10 ans) alors qu'ils savent que l'argent prêté va servir à renflouer les particuliers ou les institutions auxquels ils n'auraient prêté qu'à des taux de 10 ou 15% en ligne directe (ou plus probablement pas du tout). Il est pourtant clair que l'addition d'un intermédiaire (l'Etat) et la conservation en aval de celui-ci d'un système d'allocation des crédits privés qui ne fonctionnaient déjà pas avant la crise (les fonds n'étaient pas dirigés vers des entités capables de rembourser) ne vont pas améliorer la situation. Après des années de dérives et en conservant les mêmes systèmes d'incitation, on voudrait nous faire croire que les acteurs faillis vont se mettre à remplir leur mission correctement?
Le choix de l'Etat de prendre sous son aile et de continuer à alimenter en liquidité tous les acteurs malades de l'économie américaine n'est pas un choix rationnel ni stratégique: c'est un pis aller pour repousser le plus longtemps possible le moment de vérité. Transférer la dette privée au bilan de l'Etat ne permettra pas une relance de l'économie, au contraire elle permet la survie d'acteurs malades et repousse leur réforme (les banques par exemple ou AIG continuent à distribuer des bonus). On postule que le citoyen américain, devenu insolvable avec sa casquette de consommateur, redeviendra solvable dès lors qu'il mettra sa casquette de contribuable. Autant essayer de vous envoler en tirant sur votre ceinture. Il ne s'agit que de gagner du temps.
Le gouvernement américain est donc devenu le dernier des
réhausseurs de crédit. Je pense qu'il est appelé au même sort que ses prédecesseurs et qu'il fera finalement défaut. Alors le FMI renégociera-t-il la dette avec les américains? Ce serait pratique puisque les deux sont basés à Washington mais ce n'est pas le scénario que j'envisage. Je pensais plutôt à une politique inflationniste (tendance hyper), une forme de défaut light. Alors bien sûr, le thème du moment est la déflation (magnifié par la chute du pétrole) et il semble saugrenu à tout lecteur du FT/WSJ/The Economist d'envisager une forte inflation mais la réalité de la politique monétaire américaine est précisément celle-là: sacrifier le dollar sur l'autel de la dette.
La première bataille de la crise s'est terminée par un match nul: le consommateur et beaucoup d'autres acteurs économiques ont fait défaut mais l'Etat s'est porté garant de l'essentiel de leur dette. Le consommateur est donc revenu avec sa casquette de contribuable et l'investisseur a pour l'instant décidé de lui refaire confiance comme au premier jour (en réalité encore plus qu'au premier jour ce qui montre qu'on atteint la fin du "
ponzi scheme" - de l'arnaque). Tout est donc en place pour la bataille finale: l'investisseur international contre le contribuable américain. Combien de temps faudra-t-il au premier pour identifier le subterfuge du changement de casquette? Combien de tax breaks et de plans de relance avant que le dernier ne comprenne qu'il doit vivre plus modestement et qu'il fasse les douloureux ajustements nécessaires? Je parie sur un dénouement en 2009 car les choses vont très vite désormais.