mardi 4 mai 2010

Cirque à l'ONU

Pendant le discours d'Ahmadinejad à l'ONU, des délégations ont quitté la salle plus de dix minutes après le début du discours.

Le "journal de référence" français rapporte ça:

Le discours du président iranien boycotté à l'ONU

Le Monde - ‎Il y a 5 heures ‎

Premier acte d'une journée qui pourrait tourner au bras de fer entre la chef de la diplomatie américaine et Mahmoud Ahmadinejad, plusieurs délégations occidentales, dont les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, ont boycotté le discours du président iranien, lundi 3 mai, en quittant la salle lorsqu'il est arrivé à la tribune, à l'ouverture de la conférence de suivi du traité de non-prolifération (TNP) à l'ONU. (...)

C'est tout simplement faux (voir ici, début du discours d'Ahmadinejad à 1H14, départ de la délégation US à 1H27). Ils ont quitté la salle plus de dix minutes après qu'il soit arrivé à la tribune. Il n'était pas très facile (même en écoutant attentivement) de faire le lien entre le discours d'Ahmadinejad et le départ de certaines délégations occidentales. Cela semblait en fait assez maladroit (soit il fallait partir avant le début, soit il fallait attendre qu'Ahmadinejad dise quelque chose qui justifie plus où moins le départ mais c'était en l'espèce étrange). Qu'à cela ne tienne, le "journal de référence" simplifie la situation pour le lecteur français (on ne va pas décrire les occidentaux se prendre les pieds dans le tapis devant le "Saddam Hussein" du moment). Le Monde adopte donc les standards du NYT: "il s'agit de l'Iran? Oh bah lâchons-nous, on peut vraiment raconter n'importe quoi..." Comme le NYT qui répète à l'envie que c'est Obama qui a dévoilé l'existence des installations de Qom en septembre 2009. Mensonge éhonté évidemment. Le NYT ne se démonte pas le 17 avril 2010 sous la plume de David Sanger (la "Judith Miller de l'Iran"):

Administration officials had hoped that the revelation by Mr. Obama in September that Iran was building a new uranium enrichment plant inside a mountain near Qum would galvanize other nations against Iran, but the reaction was muted.

Ce sont les iraniens qui ont révélé l'existence de ce site trois jours avant qu'Obama ne l'évoque. Ce détail a-t-il pu échapper au journaliste senior du NYT en charge du dossier iranien? ;-)

On sent une fébrilité en occident qui ressemble de plus en plus aux spasmes désordonnés et souvent ridicules qui ont précédé l'attaque contre l'Irak ("Saddam must disarm!" répété en boucle par un Bush de plus en plus hagard). Le casus belli est tellement peu clair que les occidentaux sont brouillons. Comme pour l'Irak, il maquille la faiblesse de leurs positions derrière le masque d'une indignation surjouée (bien obligé quand le but est "regime change" et que l'excuse officielle du nucléaire militaire n'est qu'un prétexte à l'action militaire qui vise en réalité, comme pour l'Irak, à éliminer un acteur stratégique de la région). Tragique de voir que la France, cette fois-ci, ne semble pas sur la voie de garder la tête froide et d'examiner les arguments pour une attaque de manière rationnelle. Les français ont l'air d'ores et déjà acquis à l'idée d'une frappe et on imagine que les communiqués de soutien à la suite de l'attaque ont déjà été rédigés. J'ai même lu que des "hawks" américains demandaient à des amis au Quai d'Orsay de faire pression sur l'administration américaine pour qu'elle adopte une posture plus vindicative vis à vis de l'Iran. Peut-être même va-t-on y aller de notre missile de croisière pour montrer notre résolution et avoir l'impression de faire partie de l'équipe. Cela pourrait être une carte à jouer pour redorer le blason d'un Sarkozy à la dérive. Voilà qui pourrait encore le grandir...

Alors comment vont-ils la jouer cette fois-ci? "Irak style" avec des vociférations de plus en plus violentes et irrationnelles intimant de plus en plus radicalement à l'Iran de prouver l'absence de programme militaire (avec la même difficulté pour les iraniens que naguère pour les irakiens: "how to prove a negative?"). "Vietnam style" avec un vrai-faux incident pour démarrer les hostilités?

Evidemment si nos journaux étaient honnêtes*, il se passerait la chose suivante: la charge de la preuve reposerait évidemment sur les nations qui proposent une action violente. Les iraniens devraient être obligés d'ouvrir la porte des sites qui sont soupçonnés d'abriter des activités nucléaires militaires. Seulement dans le cas d'un refus pourrait-on alors envisager une action militaire contre ce site. Les américains vont évidemment éviter cela à tout prix après que les inspecteurs leur aient presque gâché l'Irak.

Pour l'instant, les occidentaux vitupèrent mais ne rentrent jamais dans des accusations spécifiques. Et j'ai l'impression qu'ils l'évitent même soigneusement. Now why would that be?


* Si nos journaux étaient honnêtes, il n'y aurait pas de blogo...

Note 1: Le Monde, le NYT, je crois l'avoir déjà dit mais pour ceux qui l'auraient oublié: je n'irai pas pleurer sur leurs tombes.

Note 2: Je suis sûr que les lecteurs du Blogo se sont tous dits après l'Irak qu'on ne les y reprendrait plus (pour les quelques uns qui s'étaient fait prendre). Vraiment? La situation pour l'Iran est très similaire et je garantis à toute personne qui voudra y consacrer du temps que plus elle fouillera, et plus elle trouvera de similarités. Et il n'est hélas pas très surprenant de constater au passage à quel point les médias s'alignent sur le pouvoir, anti-guerre du temps de Chirac, pro-guerre avec Sarkozy. Les journalistes ne sont pas des héros...

Note 3: Pour ceux qui veulent voir le Washington Post se livrer aux mêmes manipulations que le New York Times, c'est ici.

1 commentaire:

Ze Tatitude a dit…

les 10 minutes, ca devait etre le temps qu'il a fallu aux 3 delegations pour se mettre d'accord sur le fait de partir ou non. Si y'en a qu'un qui se leve, ca la fout mal :-)