mardi 30 décembre 2008
Krugman et le "T word"
Krugman est pour ouvrir les vannes de la dépense publique (à ce stade, ça veut dire casser le robinet). Il flatte Larry Summers en disant qu'il est d'accord avec son évaluation: "les risques de faire trop sont moins importants que les risques de ne pas faire assez"*.
Krugman n'a pas peur. Il croit au crédit illimité des Etats-Unis. Fort de l'idéalisation du New Deal et du rejet quasi unanime de la discipline fiscale de Hoover, il ne fait aucun doute pour lui que la solution à la crise passe par la dépense publique. Tant qu'à faire dans le "revival" à l'identique, j'entends déjà ceux qui vont dire dans quelques années: il faut faire une troisième guerre mondiale, c'est ça qui nous avait sorti de l'ornière la dernière fois. Car au final, ce en quoi Krugman croit, c'est l'amérique éternelle, qui pourra toujours emprunter, toujours dépenser face à un monde toujours prêt à lui prêter quels que soient l'augmentation de ses risques. Un monde tellement avide d'ordre américain, tellement incapable de se penser en dehors de ce leadership qu'il apportera toujours, comme le serf au seigneur, sa taille à l'empire.
Ou pas.
* : Il est un peu triste au passage de voir Krugman (économiste critique) flatter une des chevilles ouvrières du désastre actuel (Larry Summers) avec probablement en tête l'idée de se ménager un futur possible dans l'administration Obama. Ca montre bien qu'en dépit de la crise et de l'élection d'Obama, la structure de pouvoir reste complètement inchangée et qu'avoir été critique des errements passés comme Krugman ne dispense pas "d'embrasser les bagues" des dérégulateurs compulsifs des deux dernières décennies si on veut arriver quelque part. Le phénomène est similaire en matière de politique étrangère: s'être opposé à la guerre devrait être un facteur d'ascension rapide dans les cercles de politique étrangère Washingtoniens. Pas du tout. L''establishment a été tellement uniformément pro-guerre qu'il continue à considérer les gens qui s'y sont opposés comme des outsiders farfelus (cf Clinton aux affaires étrangères). Une fois encore, "Il vaut mieux avoir tort avec tout le monde que raison tout seul". La conséquence naturelle de l'inamovibilé d'élites faillies par le processus démocratique devrait être une situation pré-insurectionnelle. Le sourire d'Obama suffira-t-il à empécher ce genre de développement? Il a clairement donné aux élites américaines "a new lease on life", mais vu la violence des évènements qui se préparent, cela risque d'être de courte durée.
lundi 29 décembre 2008
Gaza burning
Les sites de gauche qui ont pignon sur rue continuent cependant à être extrêmement prudents (Atrios, TPM ou Daily Kos).
Ce changement dans le discours d'une partie de la blogosphère est un produit de l'élection d'Obama. Rien ne laisse cependant penser qu'Obama et ses supporters vont se départir de la ligne "Israel is always right" (Israël a toujours raison) qui a marqué les présidences Clinton et Bush 2. Pour l'instant. Cela pourrait changer si ces premières critiques ouvraient la voie à un véritable mouvement de contestation de la politique israélienne aux Etats-Unis.
samedi 27 décembre 2008
La course contre la montre de Julien D.
Et non, la présomption d'innocence n'a rien à voir avec ce sujet: c'est un principe juridique qui fait qu'il n'est pas en prison au jour d'aujourd'hui. Invoquer la présomption d'innocence dans un débat médiatique est une ineptie. Elle ne vaut que dans le cadre de la procédure judiciaire. On n'invoque pas la présomption d'innocence pour quelqu'un pris la main dans le sac. C'est exactement ce qui vient d'arriver à Dray. Honte à ceux qui émettent le moindre signe de soutien à son égard. Honte à ceux qui connaissent son niveau de corruption depuis des années et qui le tolèrent (ça fait sans doute beaucoup de monde).
vendredi 26 décembre 2008
dimanche 21 décembre 2008
Petite réflexion sur Madoff
Pour signaler que s'il est difficile de gagner de l'argent, il est presque également (si on ne tient pas compte des frais de transaction) difficile d'en perdre. Ainsi, pour "perdre" $50 milliards, il faut manquer de chance de manière répétée tellement de fois que l'évènement devient extrêmement improbable.
Evidemment, l'arnaque Madoff reposait sur le principe de garantir 13% par an (ou dans ces eaux là) à l'investisseur ce qui crée d'emblée une érosion forte du capital disponible par rapport au capital déclaré (s'il ne rapporte rien voir perd en réalité). Et il n'est pas surprenant qu'une crise comme celle que nous traversons ait révélée l'arnaque. Il n'en reste pas moins qu'une des tâches primordiales des enquêteurs va être de déterminer si l'argent a été "perdu de bonne foi" ou s'il a été détourné. Plus exactement, ils devront déterminer quelle part a été détournée (autrement que pour le financement du style de vie de Madoff ou ses bonnes oeuvres - il en avait) et quelle part a été perdu de bonne foi.
vendredi 19 décembre 2008
Krugman est d'accord avec El Blogo
Atrios se lâche...
"Villagers" fait référence au gens qui vivent à Washington DC, "inside the Beltway".
Liars
They lied. Hundreds of thousands of people died. Then they lied about lying.
How they live with themselves I do not know. How the Villagers get more upset about, say, John Edwards' big house than this stuff I do not know.
Que faire?
Aujourd'hui encore, un article du NYT sur les bonus de Merrill Lynch. 7 milliards de dollars en 2007. Merrill a perdu trois fois ce montant depuis (et sans doute beaucoup plus puisque je vous rappelle qu'ils ont été rachetés par Bank of America et aussi qu'on ne sait rien sur les interventions de Benny (Bernanke) et l'impact qu'elles ont et qu'elles ont eu sur la santé des banques).
Que faire si vous êtes citoyen américain? Si vous avez été trahi aussi complètement par vos dirigeants qui en rajoutent une louche en vous endettant pour deux générations pour sauver leur pouvoir?
Note: Merrill Lynch a disparu. C'est évidemment pour ça que cet article se concentre sur eux. Moins de risque de poursuites, pas de réprimande d'actionnaires en colère, les langues des employés se délient... La presse mainstream, avec le courage et l'indépendance qui la caractérise, s'attaque à l'animal blessé du troupeau. Pardon, à l'animal mort. Vivement que ces "héros" de l'information disparaissent.
Le NYT veut (un peu...) un procureur spécial pour la torture
Courageux pour les éditorialistes du NYT de réclamer que les crimes auxquels ils n'ont pas participé (la torture) soient poursuivis. Le crime initial est la guerre et ils en ont été complices. Ces "liberals" n'ont pas réalisé que la guerre pouvait mal tourner? Que des gens prêts à mentir éhontément pour l'obtenir n'avait sans doute pas un compas moral très fiable?
Vu l'influence qu'a encore ce journal, c'est une avancée majeure pour tous ceux qui souhaitent que ces crimes soient sanctionnés (même si le NYT ajoute qu'Obama ne le fera sans doute pas et semble déjà l'exonérer préemptivement de ce manque de courage politique qui n'est qu'un aveu de la puissance du courant pro-guerre, complètement décorrélée de la volonté populaire). On espère juste que le NYT va être doublé sur sa gauche (il y a beaucoup d'espace) et que son comité de rédaction et sa journaliste star, Judith Miller, se retrouveront un jour dans le box des accusés (elle a déjà fait trois mois de prison mais ça n'est évidemment pas assez).
Il y a clairement un effet Obama et cette prise de position du NYT en témoigne. Essaiera-t-il de le dompter ou de le chevaucher? C'est toute la question. A ce stade, il semble essayer de le dompter mais au fur et à mesure que les verrous de l'ère Bush tomberont, va-t-il entrevoir une opportunité politique et s'y engouffrer? Est-ce son plan depuis le début? Attendre que les racines de son pouvoir s'enfoncent un peu dans le sol grâce à son cabinet de hiérarques centristes avant de mettre en avant un agenda plus radical? Ce serait génial mais il faut bien reconnaître que ça sonne comme un rève de "liberal blogger".
mercredi 17 décembre 2008
L'amnésie sélective, refuge de la classe dirigeante américaine
Extrait de l'article: "He (Sarkozy) put France back on the map" (Sarkozy a remis la France sur la carte). Sous-entendu: elle n'y était plus depuis que Chirac avait défié la puissance américaine.
Pas étonnant que ce journaliste fasse semblant d'ignorer que c'est en réalité Chirac en 2003 qui a mis la France "back on the map" comme nouveau porte-drapeau des idéaux démocratiques et du droit international face à une amérique dénaturée par l'opportunisme de dirigeants sans scrupule suite au 11 septembre. Sarko n'aura sans doute pas l'occasion de le faire de manière aussi spectaculaire (espérons-le en tout cas). Ca fait parti des synapses qui n'arrivent pas à se connecter dans le cerveau des commentateurs US: la population a changé d'avis sur la guerre mais la propagande continue à prêter à la résistance française de 2003 des motivations suspectes (lien entre Chirac et Saddam etc...). Donner raison a posteriori aux français leur est complètement insupportable
La raison pour laquelle la France continue à être "short changed" (maltraitée) est que la position française d'alors représente un angle mort de leur réflexion collective sur la guerre. L'histoire officielle raconte encore que le gouvernement américain s'est trompé de bonne foi. Leur phrase préférée est de dire "every nation, every intelligence in the world thought Saddam Hussein had WMDs". Dès lors, les français apparaîssent dans toute leur duplicité: ces salauds de froggies étaient persuadés que l'Irak avait des WMDs mais ils n'ont pas voulu y aller quand même! Le caractère rationnel de l'invasion est toujours défendu. L'histoire officielle est que la CIA a induit le gouvernement en erreur. Sans rire. La pertinence et la bonne foi de l'opposition française (pourtant spectaculairement soulignées par l'absence d'armes de destruction massive en Irak d'une part et par les massacres contre lesquels la France avait mis en garde d'autre part) est niée.
Que des éléments disséminés au sein de l'administration avec des relais puissants dans les médias aient participé à une opération de propagande sans précédent (que j'ai vécu sur place) pour faire croire à la menace irakienne est complètement passé sous silence. Les politiques et les journalistes américains évitent le sujet car l'affronter les conduirait directement en prison, ou pire.
Voilà la question que je poserais à tous ceux qui ont défendu ou qui défendent encore l'intervention, ou certains de ces aspects: "Vous défendez l'intervention mais cette intervention n'a été possible que par un mensonge d'Etat. Défendez-vous le mensonge d'Etat qui l'a rendue possible?"Le problème alors est qu'une réponse affirmative est incompatible avec les exigences d'un régime démocratique. Notons au passage que l'instauration de la "démocratie" en Irak est présentée comme l'objectif de la guerre... Une tartufferie (parmi tant d'autres) des soutiens de cette guerre qui, au plus haut niveau, ont démontré par leurs mensonges qu'ils étaient des opposants aux principes de base de la démocratie. Ils ne défendent pas la démocratie comme un système politique mais comme un buzzword désignant en réalité un régime favorable aux intérêts américains (en témoigne le peu d'insistance américaine pour que des pays comme l'Egypte, l'Arabie Saoudite ou la Jordanie deviennent démocratiques - ils ne gènent pas).
Madoff, de l'eau au moulin d'El Blogo
Les problèmes auxquels font face l'économie mondiale sont la conséquence d'une mécanique inexorable et relativement simple qui a fait du gouvernement américain un outil d'enrichissement à la disposition des plus offrants. La perversion de ce système et qu'il est le plus souvent légal et toléré culturellement (pour l'instant). Les dominants, comme d'habitude, ont donné à leur système de domination l'apparence de la normalité, ils l'ont légitimé dans le discours et lui ont conféré un caractère d'inévitabilité. Sans surprise, la politique menée l'a été dans le mépris total de l'intérêt général.
L'affaire Madoff nous donne aujourd'hui un petit aperçu sur la manière dont on achète de l'influence politique et de la respectabilité en Amérique:
But lobbying is just a piece of Madoff's influence in Washington. His family has contributed nearly $400,000 to political committees.
Voir également ça.
On a parlé de la crise du subprime, puis de la crise immobilière, puis de la crise économique. La réalité est que les Etats-Unis traversent une crise po-li-ti-que. La seule solution durable est la réforme des lois de financement de campagne à tous les échelons de la politique américaine (comme l'avait proposé trop tôt John Edwards lors des primaires démocrates (voir vers la fin du post où il est question d'Edwards)). Tant que cela ne sera pas fait, des systèmes de régulation pervertis produiront les résultats désastreux que nous observons en ce moment.
Tant qu'à faire...
mardi 16 décembre 2008
En attendant la FED
C'est en fait la manière américaine de faire discrètement défaut sur leur dette: nous remboursons toujours mais notre monnaie ne vaut plus rien.
La "démocratie" irakienne
Muntadar al-Zaidi has suffered a broken hand, broken ribs and internal bleeding, as well as an eye injury, his older brother, Dargham, told the BBC.
(Selon son frère, Muntadar al-Zaidi a eu une main cassée, des côtes cassées et une hémorragie interne ainsi qu'une blessure à l'oeil en détention.)
L'abjection Bushiste continue son petit bonhomme de chemin.
Encore Greenwald
Greenwald nous rappelle cependant fort à propos qu'après le scandale d'Abu Ghraib, on a jugé et condamné des personnages répugants (ici, ici et ici), certes, mais qui se sont avérés avoir agi sur ordres. Pour tenter d'apaiser une opinion publique outragée, les dirigeants qui avaient commandité les tortures ont donc encouragé les poursuites contre les fidèles soldats qui avaient exécuté leurs ordres.
S'il s'agissait alors de crimes, on se demande bien pourquoi on en exonère aujourd'hui les vrais coupables désormais identifiés. La réponse est peut-être à trouver dans le titre d'un des bouquins de Greenwald: "Great American Hypocrites".
The bipartisan Senate Armed Services Committee report issued on Thursday -- which documents that "former Defense Secretary Donald Rumsfeld and other senior U.S. officials share much of the blame for detainee abuse at Abu Ghraib prison in Iraq, and Guantanamo Bay, Cuba" and "that Rumsfeld's actions were 'a direct cause of detainee abuse' at Guantanamo and 'influenced and contributed to the use of abusive techniques ... in Afghanistan and Iraq'" -- raises an obvious and glaring question: how can it possibly be justified that the low-level Army personnel carrying out these policies at Abu Ghraib have been charged, convicted and imprisoned, while the high-level political officials and lawyers who directed and authorized these same policies remain free of any risk of prosecution?
Note: je conseille à ceux qui parlent anglais la lecture en entier du post dont cet extrait est tiré. Ca confirme mon précept selon lequel l'opposition viscérale à l'Amérique de George Bush n'est pas affaire de conviction mais d'éducation (âmes sensibles s'abstenir sur ces deux derniers liens).
lundi 15 décembre 2008
Premiers éléments sur le shoe-terrorist
Juan a donc des révélations sur le terroriste aux chaussures qui s'en est pris à Bush. Il aurait été victime de raids aériens américains. L'occasion en tout cas de nous rappeler que la plupart de nos perceptions sur l'Irak (ou leur absence) sont très fortement influencées par la propagande américaine et que si les américains arrivent finalement à imposer temporairement un nouvel ordre colonial desespérément anachronique, cela aura été au prix de centaines de milliers de morts et de millions de déplacés. Combien de Guernicas pour cette ratonnade new age?
* ça me fait toujours rire quand les médias US qualifient avec mépris la presse russe ou d'autres pays de "state controlled", se souviennent-ils du premier trimestre de 2003 et de toute la couverture médiatique sur l'Irak depuis??? Peuvent-ils expliquer pourquoi on prête à des gens insolvables aux US depuis 10 ans et que la presse se tait??? Despicable...
Extrait du blog de Juan Cole:
Shoe-Thrower had been Traumatized by US Aerial Bombings
Iraqi journalist Muntazir al-Zaidi, who threw the shoes at Bush in Baghdad, shouted "Killer of Iraqis, killer of children." while security guards piled on him.
McClatchy reports that he had covered the US bombing of Sadr City last spring, in support of PM Nuri al-Maliki's incursion into this stronghold of the Sadr Movement and its Mahdi Army, and is said to have been emotionally affected by the sight of that destruction.
Courtesy of Newsweek
Les Robber Robber Robber Barrons
(résumé en français: Au dernier moment, les concepteurs du bailout plan ont ajouté une provision à la loi limitant les rémunérations des dirigeants de banques ayant recours au plan: ces rémunérations ne seraient cappées que si les banques avaient recours à des enchères. Résultat: aucune somme n'a été allouée par le biais d'enchères, aucune rémunération n'est cappée. Trop fort.)
- But at the last minute, the Bush administration insisted on a one-sentence change to the provision, congressional aides said. The change stipulated that the penalty would apply only to firms that received bailout funds by selling troubled assets to the government in an auction, which was the way the Treasury Department had said it planned to use the money.
Now, however, the small change looks more like a giant loophole, according to lawmakers and legal experts. In a reversal, the Bush administration has not used auctions for any of the $335 billion committed so far from the rescue package, nor does it plan to use them in the future. Lawmakers and legal experts say the change has effectively repealed the only enforcement mechanism in the law dealing with lavish pay for top executives.
Le ponzi scheme américain
A Ponzi scheme is a fraudulent investment operation that involves paying abnormally high returns ("profits") to investors out of the money paid in by subsequent investors, rather than from net revenues generated by any real business.
Cela s'applique également aux Etats-Unis (même si le parallèle est moins immédiat): le pays a attiré de plus en plus de capitaux en offrant les meilleurs rendements du monde jusqu'à dépasser et aller bien au-delà de la quantité de capital que l'économie américaine était réellement capable de faire prospérer. L'afflux de capitaux a permis de faire croire longtemps à la réalité de ces rendements alors qu'il ne finançait pas des investissements qui auraient pu un jour payer mais seulement une consommation compulsive qui ne rapporterait jamais rien. Tout cela initié et démultiplié par un prestige américain à son zénith après l'effondrement du rival soviétique.
Le problème c'est que si Bernard Madoff ne semble pas prêt de remonter sur son cheval, les investisseurs continuent plus que jamais à placer leurs capitaux aux Etats-Unis. C'est un peu comme si les investisseurs de Madoff s'étaient rassemblés ce week-end et avaient décidé de réinvestir chez Maddof pour qu'on puisse prétendre six mois encore que tout allait très bien. A très court terme, tout le monde est plus à l'aise mais combien de temps cela peut-il réellement durer?
La bataille finale
Dans le chaos financier absolu qui règne et devant les perspectives désastreuses de l'économie mondiale, les investisseurs affirment que l'Etat américain est encore, sur cette planète, le meilleur risque de crédit. On dit qu'en dernier ressort, la monnaie la plus forte est celle qui s'appuie sur l'armée la plus puissante et on peut se demander dans quelle mesure l'analyse financière ne se rapproche pas tous les jours un peu plus de ce degré zéro de sophistication (après avoir atteint des sommets de complexité il y a 18 mois, la chute est rude pour les jeunes financiers qui pensaient avoir fortune faite en quelques années grâce à leur maîtrise de deux ou trois formules mathématiques - et d'Excel).
Les marchés ont d'abord vécu dans l'illusion de la solvabilité des emprunteurs subprime et prime, puis dans l'illusion de la solvabilité des réhausseurs de crédit, puis dans l'illusion de la solvabilité des institutions financières américaines. Ils se cramponnent désormais à la seule illusion qu'il leur reste: la solvabilité de l'Etat américain. Comme les petits cochons finalement réfugiés dans la maison de brique (last AAA standing ), ils se disent que cette fois-ci, le loup (la réalité économique) sera découragé. J'ai peur que leur destin ne soit plus tragique que celui des petits cochons de l'histoire.
Les investisseurs semblent pour l'heure satisfaits de n'obtenir que le taux d'intérêt minimum payé par l'Etat (3% à 10 ans) alors qu'ils savent que l'argent prêté va servir à renflouer les particuliers ou les institutions auxquels ils n'auraient prêté qu'à des taux de 10 ou 15% en ligne directe (ou plus probablement pas du tout). Il est pourtant clair que l'addition d'un intermédiaire (l'Etat) et la conservation en aval de celui-ci d'un système d'allocation des crédits privés qui ne fonctionnaient déjà pas avant la crise (les fonds n'étaient pas dirigés vers des entités capables de rembourser) ne vont pas améliorer la situation. Après des années de dérives et en conservant les mêmes systèmes d'incitation, on voudrait nous faire croire que les acteurs faillis vont se mettre à remplir leur mission correctement?
Le choix de l'Etat de prendre sous son aile et de continuer à alimenter en liquidité tous les acteurs malades de l'économie américaine n'est pas un choix rationnel ni stratégique: c'est un pis aller pour repousser le plus longtemps possible le moment de vérité. Transférer la dette privée au bilan de l'Etat ne permettra pas une relance de l'économie, au contraire elle permet la survie d'acteurs malades et repousse leur réforme (les banques par exemple ou AIG continuent à distribuer des bonus). On postule que le citoyen américain, devenu insolvable avec sa casquette de consommateur, redeviendra solvable dès lors qu'il mettra sa casquette de contribuable. Autant essayer de vous envoler en tirant sur votre ceinture. Il ne s'agit que de gagner du temps.
Le gouvernement américain est donc devenu le dernier des réhausseurs de crédit. Je pense qu'il est appelé au même sort que ses prédecesseurs et qu'il fera finalement défaut. Alors le FMI renégociera-t-il la dette avec les américains? Ce serait pratique puisque les deux sont basés à Washington mais ce n'est pas le scénario que j'envisage. Je pensais plutôt à une politique inflationniste (tendance hyper), une forme de défaut light. Alors bien sûr, le thème du moment est la déflation (magnifié par la chute du pétrole) et il semble saugrenu à tout lecteur du FT/WSJ/The Economist d'envisager une forte inflation mais la réalité de la politique monétaire américaine est précisément celle-là: sacrifier le dollar sur l'autel de la dette.
La première bataille de la crise s'est terminée par un match nul: le consommateur et beaucoup d'autres acteurs économiques ont fait défaut mais l'Etat s'est porté garant de l'essentiel de leur dette. Le consommateur est donc revenu avec sa casquette de contribuable et l'investisseur a pour l'instant décidé de lui refaire confiance comme au premier jour (en réalité encore plus qu'au premier jour ce qui montre qu'on atteint la fin du "ponzi scheme" - de l'arnaque). Tout est donc en place pour la bataille finale: l'investisseur international contre le contribuable américain. Combien de temps faudra-t-il au premier pour identifier le subterfuge du changement de casquette? Combien de tax breaks et de plans de relance avant que le dernier ne comprenne qu'il doit vivre plus modestement et qu'il fasse les douloureux ajustements nécessaires? Je parie sur un dénouement en 2009 car les choses vont très vite désormais.
dimanche 14 décembre 2008
Glenn goes mainstream
Pour tous ceux qui s'intéressent à une perspective juridique sur les crimes des politiciens américains depuis 6 ans (à l'aune de leur propre constitution), Greenwald est le "one stop shop". Durant les 22 minutes de cette interview en 3 parties, il s'avère aussi clair, précis et implacable à l'oral qu'à l'écrit (pour ceux qui n'ont pas le temps, vous pouvez regarder seulement la partie 2). Vous pouvez avoir ses impressions d'interviewé ici. Il a fait également cette même semaine une première interview pour la nouvelle passionaria de la gauche américaine, Rachel Maddow sur MSNBC.
Enfin, j'imagine que certains se demandent comment, dans un bel ensemble, les élites dirigeantes américaines peuvent s'exonérer de leurs turpitudes et qui doutent du coup que les crimes soient véritablement constitués. Ma réponse est que cela s'appelle le pouvoir et qu'il est de la responsabilité du citoyen de s'y opposer quand il est dévoyé. L'argument essentiel de Greenwald étant que si on ne juge pas les responsables qui ont enfreint la loi aujourd'hui, on donne de fait un pouvoir illimité à l'exécutif dans le futur et il est difficile de lui donner tort.
Part 1
Part 2
Part 3
J'aime bien
"Recessions catch what the auditors miss."
Traduction du blogo: "Les récessions mettent à jour ce que les auditeurs ont raté."
Dommage que cette récession ait été si longue à venir car les auditeurs ne servent à rien depuis longtemps déjà.
samedi 13 décembre 2008
Madoff
Juste pour le souvenir, j'aime bien cette phrase de la dépêche Bloomberg qui explique la réalité économique masquée de nombreux hedge funds:
"He had paid investors for years out of principal from other investors."
La seule manière d'empêcher cela serait de forcer les hedge funds à liquider toutes leur poses périodiquement et à rembourser tous leurs investisseurs d'un coup en les laissant réinvestir ensuite. Là, on serait sûr que l'argent est bien là et que les performances annoncées ne sont pas du flan. Evidemment, ça n'est pas vraiment réalisable en pratique et c'est pour ça que cette industrie est DOA (dead on arrival - morte). Sinon, tant qu'on attire des capitaux, on peut pipauter n'importe quoi et rembourser les quelques investisseurs qui ont besoin de cash ou qui doutent.
D'une certaine manière, les gens qui ont confié l'argent au hedge fund sont complices: ils ont intérêt à croire à la réalité des gains car cela rejaillit sur eux de manière positive (bonus pour tous les ronds de cuir de la finance qui investissaient l'argent de leurs institutions et illusion de richesse pour ceux qui investissent leur propre argent )...
Non, la finance n'a vraiment rien de compliqué.
vendredi 12 décembre 2008
Judgment day is coming
mercredi 10 décembre 2008
Le Blogo sur Blago
C'est la deuxième fois que l'Attorney General Patrick Fitzgerald (fils d'un doorman à Manhattan qui a réussi à faire Harvard Law) fait parler de lui en dehors des frontières des Etats-Unis. La dernière fois, c'est quand il a mis en prison un de ces personnages peu savoureux de l'administration Bush, ami personnel de Judith Miller (journaliste du NYT également envoyée en prison par ses soins), Lewis "Scooter" Libby.
Vous pouvez lire le communiqué de presse de Fitzgerald ici. Il semble que Blago ait le pouvoir, en tant que gouverneur de l'Illinois, de nommer le sénateur qui remplace Barack Obama et qu'il ait voulu monnayer cette nomination contre de l'argent/de l'influence. Ca n'est qu'une des deux charges que je trouve un peu faible car en politique, il est assez courant de rendre des services en échange d'autres services.
Obama voulait nommer une aide de campagne (Valérie Jarett) mais ne proposait rien en échange au grand désespoir de Blago qui se vengeait avec une énorme densité de "fuck" ou "fucking" à l'endroit d'Obama dans ses discussions avec ses conseillers (il a été écouté et Fitzgerald a publié les transcripts dans l'inculpation).
Il semble donc qu'Obama soit relativement protégé dans cette affaire. Rahm Emanuel (l'homme au 18 millions de dollar en deux ans de banking) semble possiblement en difficulté car il avait remplacé Blago à la chambre des représentants et il est donc familier du personnage. D'ailleurs, il semble que le bruit ait d'abord couru que Rahm avait vendu Blago en participant à l'enquète ce qui semblait une tentative de prise de distance. Les conseillers de Rahm qui avaient probablement initié cette rumeur se sont ensuite inscrits en faux. Ont-ils eu peur de représailles de Blago?
On dit que la politique à Chicago est très corrompue... Le problème ne se limite malheureusement pas aux rives du lac Michigan mais on voit au passage qu'Obama n'a pas fait ses armes dans un monastère. Blago a d'ailleurs des liens avec Tony Rezko, personnage sulfureux qui a lui-même des liens de longue date avec Obama...
lundi 8 décembre 2008
Faillites dans la presse aux US
C'est d'ailleurs à ça que servent les crises: quand elles ne sont pas trop violentes, elles permettent de purger de l'économie les structures devenues trop faibles. Dans une certaine mesure, on peut regretter que Greenspan ait interrompu la récession de 2001 en descendant les taux à 1% car une récession "normale" aurait sans doute mis à jour les faiblesses structurelles de certains produits financiers comme les prêts "subprime". Au lieu de ça, on a versé de l'engrais sur de la mauvaise herbe.
vendredi 5 décembre 2008
Le 787, nouveau symbole de l'économie américaine
Cette photo est le mensonge le plus spectaculaire de Boeing. Pour des raisons de relations publiques (et de communication financière bien entendu), il a été décidé de procéder au roll-out du nouvel appareil le 7/8/7 (8 juillet 2007 en date US). Or le roll-out se fait quand l'avion est prêt à voler ou à peu près (pour l'A380, il a eu lieu 2 mois avant le premier vol). C'était il y a 18 mois et le 787 n'a toujours pas volé et Boeing vient d'annoncer encore un nouveau délai. Ils ont présenté ce jour là au public (et aux investisseurs) une coquille vide dans ce qui a été décrit dans un document interne d'Airbus comme un "Potemkine roll-out". La suite plus tard...
Le NFP ou "how low can you go?"
La bonne nouvelle c'est que je suis maintenant certain d'avoir gagné un pari avec un thuriféraire de la puissance américaine. Il se reconnaîtra.
La lutte des classes aux Etats-Unis selon Buffett
“There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning.”
Warren Buffett, 26 novembre 2006
Traduction du blogo:
"Il y a une lutte des classes aux Etats-Unis, bien sûr, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous gagnons."
(voir New York Times, November 26, 2006 et CNN Interview, May 25 2005)
J'ai pensé à cette citation de Warren Buffett en lisant ce commentaire (d'un anonyme, trouvé de manière surprenante par une recherche sur Google News) sur la manière dont les automakers sont traités dans la presse US. Il dit en résumé que les constructeurs automobiles américains sont moins performants car ils doivent payer énormément d'argent aux systèmes sociaux et notamment aux retraites des anciens de leur industrie. Les nouveaux acteurs (ou étrangers) n'ont pas de charges aussi lourdes et ont donc des coûts bien plus bas. C'est limpide. C'est évident. Ca montre bien les limites d'un modèle où les sociétés accumulent un passif social jusqu'à ce qu'elles ne soient plus compétitives et ferment finalement plutôt que de payer cette dette (la crise détruit également le modèle des fonds de pensions entre autre pans du modèle économique néolibéral qui reposait sur l'idée qu' "à long terme on ne peut que gagner en bourse").
Le fait que les politiciens américains n'aient pas mis leur population à l'abri de phénomènes aussi prévisibles, aussi mécaniques est une expression de ce que Warren Buffett condamne. Les médias défendent becs et ongles un système financier corrompu et laissent littéralement "crever" tous les anciens d'une industrie sans ciller. C'est la violence sociale standard aux Etats-Unis. Il vaut mieux être du côté du manche, sinon on est vaporisé dans l'indifférence générale et d'abord celle des médias.
Il y a d'autres exemples de cette violence. Les tax cuts de Bush qui ont favorisé de manière inqualifiable (j'essayais de qualifier cette manière et je ne trouvais pas alors j'ai finalement trouvé "inqualifiable"!) les américains les plus aisés (voir notamment l'interview de Buffett du NYT plus haut sur l'Estate Tax). Mais également les lois passée en 2005 sur la personal bankruptcy qui rendaient beaucoup plus dures les conditions de faillites personnelles (juste avant le retournement du cycle du crédit), par exemple, l'ordre chirographaire fait maintenant passer les Credit Cards Company avant les pensions alimentaires en cas de faillite personnelle (les banquiers en ont rêvé, le système politique corrompu des Etats-Unis l'a fait, j'y reviens dans un prochain post sur une interview de Chris Dodd, Chairman of the Senate Banking Committee). On peut aussi rappeler que 40 millions de gens sans couverture maladie, dont 8.3 millions d'enfants. Pour que ce soit clair, si vous avez un enfant qui a un cancer et que vous n'êtes pas couvert, votre enfant n'est pas soigné. Combien de fois ai-je entendu des américains faire référence à leur pays en utilisant des formules comme "Greatest Nation on Earth"...
NB: Vécu. Je me suis senti obligé de préciser à mon neveu pendant Spiderman 3, alors que le profil psychologique du méchant (sa méchanceté...) était expliqué par le fait qu'il n'avait pas pu payer pour les frais médicaux de son enfant, qu'il vivait dans un pays civilisé et que cela ne pouvait pas arriver chez lui.
Selon que vous serez banquier ou automaker...
Tout cela est bien résumé ici (en anglais).
Aussi, comme il est suggéré là, d'un point de vue macro-économique et dans un contexte où il n'est pas évident pour tous les nouveaux convertis à la "relance" de trouver des moyens de dépenser l'argent du contribuable efficacement et instantanément, il semble qu'aider l'industrie automobile à court terme soit un no brainer (une évidence). Imaginez le temps (et l'argent) qu'il faudrait pour mettre en place une structure avec une utilité sociale identifiable capable d'employer des millions de personnes... Il faut sauver l'industrie automobile US, ne serait-ce que dans le cadre d'une politique de relance à court terme. Cela représente au passage un coût bien inférieur au hold up réalisé par les banques. Le fait que cela soit discuté beaucoup plus âprement que pour les banques est une pièce de plus (superfétatoire, certes) à mettre au dossier du biais pro-banque du commentariat économique américain (ou pro General Electric by the way, actionnaire majoritaire de NBC et MSNBC qui se retrouve comme par hasard aidé par le gouvernement - investir dans une chaîne de télé est une pochette surprise, on ne sait jamais combien ça va rapporter mais dans un contexte où le lobbying et l'influence se mettent à être rétribués directement par du cash, c'était clairement une bonne idée).
Les constructeurs automobiles apparaîssent comme les ploucs de service qui n'ont pas eu le bon goût d'avoir acheté des chaînes de télé pendant les années fastes pour permettre aux élites de se trouver belles en leur mirroir. Il faut bien dire qu'ils ne l'ont pas fait parce qu'ils étaient fauchés. S'ils avaient gagné de l'argent, vous pouvez être sûr que les médias auraient réussi à trouver du "glam" et des dirigeants "stellaires", même à Detroit.
mercredi 3 décembre 2008
Apply now!
lundi 1 décembre 2008
Récession! (ou le retour de Robert)
(BN) *NBER SAYS U.S. RECESSION STARTED IN DECEMBER 2007
(Titre d'une news toute fraîche de Bloomberg envoyé par W. Il n'y a qu'un titre car la news n'est pas encore développée. Quand il y aura un article, je mettrai le lien. Voici le lien)
Je pense qu'il lit El Blogo et que ça lui a permis de clarifier ses réflexions. Bravo Robert! Toutes les félicitations du Blogo. Et en anglais aussi: We félicite you big time Robert!
La reprise au coin de la rue?
Ce qui pose la question: si le champagne nous a poussé dans la crise, le café nous permettra-t-il d'en sortir?
Trois scènes de crime, c'est trois fois plus d'indices
J'entends sur France Infos que le marché de l'auto a baissé de -17% en Europe. En Espagne et en Grande-Bretagne, c'est -40% et -50% (ils n'ont pas dit le chiffre pour l'Irlande ni si les chiffres étaient d'une année sur l'autre, bien qu'on puisse le supposer).
On voit là un phénomène qui je l'espère (pour la zone Euro) va s'accentuer au fil des mois: une meilleure résistance du modèle économique continental par rapport à l'effondrement de ceux qui mettent de la nytroglycérine dans le moteur depuis des années (EU, RU, Espagne, Irlande). Ca semblerait juste mais la justice ne préside malheureusement pas nécessairement aux destinées économiques.
Toujours est-il que ces trois pays nous offrent un sujet d'étude exceptionnel pour comprendre les errements américains. Par exemple, l'Espagne fait partie de la zone Euro donc on voit là qu'il était possible d'aller trop loin dans l'octroi de crédits et de créer une bulle immobilière indépendamment de la politique monétaire. On peut aussi probablement identifier ce qui a permis un développement plus rapide de la titrisation en Espagne et au Royaume-Uni. Est-ce qu'elle y a été encouragé par des législations spécifiques? Si oui, de quand datent-elles? Est-ce l'absence de législation? Ce marché est-il né de choix d'organismes privés qui auraient pu tout aussi bien développer ces produits en France, en Italie ou en Allemagne s'ils l'avaient jugé stratégique? Il y a également eu de la titrisation aux Pays-Bas et en Italie mais dans une moindre mesure. Pousser par quelles banques? Qui a fait du lobbying auprès de qui pour que cela soit possible? Où?
La diffusion (ou non) du modèle américain de croissance factice dans les économies européennes peut permettre d'en expliquer la nature, les ressorts et les mécanismes. Cette étude comparée est essentielle au "reverse engineering" de la crise qui nous permettra d'en sanctionner les responsables mais surtout d'éviter la prochaine.