En gros, l'AIEA vivotait jusqu'en 2003 dans le monde post guerre froide où des hommes de bonne volonté tentaient de donner un avis informé sur des questions techniques. Mais le gouvernement de la première puissance mondiale a alors décidé de secouer le cocotier et a exigé de cette organisation qu'elle déforme la vérité pour servir ses buts de guerre (d'agression). L'AIEA menée par Mohamed El Baradei, si elle a fait des concessions aux pressions américaines, a maintenu une forme d'intégrité et d'indépendance insupportable pour les américains en raflant au passage un prix nobel de la paix en 2005 (avant que ce prix ne devienne une farce). La spectaculaire opération de propagande américaine sur les armes de destruction massive irakiennes a démontré sans doute possible que c'est bien la vision américaine qui était politisée et pas celle de l'AEIA comme des propagandistes infatigables essayent d'en faire courir le bruit.
Devant ces résistances insupportables aux desseins de l'Empire, vous pouvez être sûrs qu'une cellule spéciale à Washington a été créée pour mettre au point des stratégies de reprise de contrôle de ce nouvel enjeu de pouvoir (la corruption américaine se proposant évidemment pour remplacer la technique). Le résultat a été la nomination de Yukia Amano.
Et s'il y avait un doute sur la servilité d'Amano envers les américains, wikileaks et Bradley Manning ont eu tôt fait de les lever avec des "cables" d'un diplomate américain:
Amano reminded [the] ambassador on several occasions that he would need to make concessions to the G-77 [the developing countries group], which correctly required him to be fair-minded and independent, but that he was solidly in the U.S. court on every key strategic decision, from high-level personnel appointments to the handling of Iran's alleged nuclear weapons program.
Que demander de mieux? Donc voilà, le rapport de l'AEIA sur l'Iran est à voir sous cet angle: il est le produit d'une organisation désormais inféodée aux buts politiques américains. Et les américains mentent de manière routinière dès que ça leur sied (Obama ou pas), souvent de manière transparente, avec l'arrogance d'un pouvoir qui sait qu'on lui passe tout.
Alors nos médias, toujours à l'affût, ont eu tôt fait de mettre à jour ces manipulations criantes? Evidemment non. En dépit des contritions malhonnêtes qui ont suivi le traitement par les corporate media des mensonges américains sur les armes de destruction massive irakiennes, ils sont prêts à recommencer sur l'Iran sans ciller. Oh évidemment, David Sanger a remplacé Judith Miller au NYT et les personnages les plus "grillés" ont pris un backseat mais l'infrastructure est la même.
Et comment pourrait-il en être autrement? Les ronds de cuir des corporate medias qui ont menti sur l'Irak ont été promus (sauf les plus voyants, sacrifiés mais trouvant des places au chaud dans des think tanks "amis") et ceux qui ont dit la vérité ont été écartés... Comme pour la crise financière, comment espérer un changement sans régénération des cadres? Non, les excuses des corporate medias sur l'Irak étaient malhonnêtes car il ne s'agissait pas d'une erreur mais d'une opération de propagande à laquelle ils avaient sciemment participé car voyez-vous, "that's what they do".
L'Iran aujourd'hui, avec l'alcoolique vendeur de voitures d'occasion qui commandite des meurtres à Washington DC et ce rapport de l'AIEA vient prouver que la campagne de désinformation sur l'Irak n'était pas une erreur mais bien le plan ("It was not a bug, it was a feature."). Bien sûr, pour les observateurs attentifs, il y a eu mille confirmations de ce triste état de nos démocraties depuis mais une personne "normalement" (dés-)informée peut rester presque complètement ignorante du feu continu de propagande auquel elle est soumise par les vieux médias. La vérité fait néanmoins son chemin.
A lire:
The Guardian:
Fast-forward to 2011 and we're left wondering if these same newspapers have really taken on board the lessons of Iraq. Here, for example, is David Sanger, chief Washington correspondent of the New York Times, writing in its Sunday Review last weekend:
At the White House and the CIA, officials say the recently disclosed Iranian plot to kill the Saudi ambassador to the United States – by blowing up a tony Georgetown restaurant frequented by senators, lobbyists and journalists – was just the tip of the iceberg.
Note how the allegation of an "Iranian plot" in the US – which was greeted with a good deal of scepticism when it first surfaced last month – now appears to have become an established fact (even though it has yet to be tested in court). Not only that. Sanger's anonymous officials are now asking us to believe it is part of a bigger and even more menacing Iranian plot which stretches across continents from the Yemen to Latin America.
...Of course, these are extremely murky waters and I'm not at all sure who to believe. There is probably a lot of deception taking place on both sides. But what seems to me extraordinary is the reluctance of journalists – especially in the US mainstream – to acknowledge the uncertainties and their willingness to accept what, as far as Iran is concerned, are the most incriminating interpretations.
The National Interest:
This week's surge in comments about the Iranian program is another step in a long-running process that seems destined to push U.S. policy toward a disastrous conclusion. It is a process of talking up Iran and specifically the nuclear program as if there were no greater danger to Western civilization as we know it. When this theme is voiced often enough, loudly enough, by enough people, it becomes a received wisdom that is accepted automatically with no effort to determine whether it is true. That in turn leads to the notion, also widely and automatically accepted, that an Iranian nuclear weapon must be prevented at all costs, with no effort to add up the costs.
...
The latest round in the national discourse about Iran contains several gaping holes, the biggest of which is any serious and careful consideration of what danger an Iranian nuclear weapon actually would pose. The closest things to a serious effort to posit such a danger ultimately come up short. The direction the discourse has taken has meant that any questioning of this supposedly grave danger is already outside the mainstream. But being in the mainstream does not make something valid. [ndlr: not anymore...]
A suivre, j'ajouterais les articles les plus pertinents que je trouve sur ce sujet.
- J'ai regardé les JT de 20H00 de France 2 et TF1. Aucun des deux ne replace le rapport dans son contexte comme je l'ai fait dans ce post bien évidemment. France 2 spécifie qu'il ne s'agit que d'allégations et emploie le conditionnel. TF1 affirme de manière spectaculaire et franchement honteuse que: "Reste à savoir s'ils [les dirigeants iraniens] oseront franchir la ligne rouge: faire exploser leur première bombe nucléaire. Ils devraient avoir atteint la capacité de le faire dans les six prochains mois d'après les experts." Rappelons aux propagandistes de TF1 que selon Seymour Hersh, le National Intelligence Estimate de 2011 continue à admettre que les américains n'ont pas de preuve d'un programe nucléaire militaire iranien. Qui sont ces experts mystérieux et menteurs auxquels TF1 donnent la parole en les anonymisant? Pathétique.
- Juan Cole développe les nombreux éléments de ce rapport qui sont (sans surprise vu ses buts politiques) sujets à caution.
- Autre post de Juan Cole dans lequel il rappelle notamment que l'AIEA travaille tous les jours en Iran et inventorient toutes les substances dangereuses du programme nucléaire iranien et qu'à ce jour, tout l'uranium est répertorié. Qui le dit? Pour un programme militaire, il faut déjouer ce système de contrôle. On laisse penser que les iraniens complotent tranquillement dans leur coin et que les "centrifugeuses tournent" comme le dit Sarkozy. Alors les iraniens peuvent très bien essayer de contourner les contrôles et rien n'interdit aux américains de les pincer. Faire croire que cela s'est produit est un mensonge. Mais produire une bombe alors que le matériel fissile iranien est soumis à un tel contrôle de l'AIEA tout en échappant à la vigilance américaine est quasiment impossible. C'est pour cela que les iraniens ne le font très probablement pas et que les américains se voient obligés de dire n'importe quoi et de méler à tout ça des alcooliques ex-vendeur de voiture d'occasion. Si cela vous rappelle l'Irak, c'est normal: les mécanismes sont très similaires. Un régime qui se sent menacé et qui est prêt à filer droit pour ne pas avoir d'ennui d'un côté et de l'autre, des américains bien embarrassés du fait que le régime file droit car ils sont déterminés à frapper. Peut-on s'étonner que le régime américain recourt dans les deux cas à la même solution: une propagande de bas étages?
- Leverett sur le sujet.