dimanche 7 juin 2009

Roubini s'explique. Mais peut-on expliquer Roubini?

Nouriel Roubini a expliqué lors d'une conférence que la crise économique n'était pas un "Black Swan event" tel que les décrit Nassim Taleb. Taleb ne dit d'ailleurs pas autre chose si on l'écoute attentivement (son message est brouillé car pour la promotion de son livre, il vaut mieux laisser penser au public qu'il parle de la crise).

Il explique également qu'on ne doit pas l'appeler "Dr Doom" mais "Dr Realist", que beaucoup de gens avaient vu la crise venir (voir l'extrait plus bas pour les noms) et il ajoute qu'il n'a fait que "connect the dots" (expression référant au jeu pour enfant leur demandant de rejoindre des points avec des traits dans un ordre déterminé pour faire apparaître une forme). Il explique que la vraie question n'est pas pourquoi lui a prédit la crise mais pourquoi tous les autres ne l'ont pas fait. Il met en cause le fait que beaucoup d'analyste aime se cacher dans le troupeau, que la pression est forte pour générer un certain discours en période faste... Pour ma part, je trouve la question: "Pourquoi lui?" intéressante même si je risque de tomber dans la psychologie de bazar.

Le personnage qui dit "le roi est nu" dans le conte d'Andersen est un enfant car seule sa naïveté lui permet d'offenser ainsi l'empereur. Toutes les personnes adultes dans le conte font semblant de croire à la fiction. Roubini n'est pas un enfant mais des éléments dans son parcours font qu'il n'est pas irrationnel que lui, plutôt qu'un autre, se soit retrouvé dans la situation d'être la cassandre de la crise. Roubini est en effet une forme d'outsider: il a fait ses études en Europe (il a un très fort accent) et il n'a rejoint les Etats-Unis que pour son doctorat à 30 ans. Quand on arrive à 30 ans dans un système, il est plus facile de porter sur lui un regard critique que si on est le fils d'un mandarin par exemple.

De plus, il n'est pas une personnalité reconnue avant la crise: depuis son poste relativement modeste (dans le "pecking order" académique américain) d'enseignant à la Stern School of Business de NYU, sa voix ne portait pas beaucoup. S'il avait été plus loin dans sa carrière (mettons qu'il ait eu une chaire à Harvard par exemple), le champ de contraintes autour de lui aurait été plus resserré. Avançant dans sa carrière, il aurait sans doute eu des rapports plus étroits avec Wall Street qui l'auraient incité à mettre de l'eau dans son vin. Aussi, s'il avait véritablement gêné (au point que ses déclarations aient assez de retentissement pour inquiéter les marchés par exemple ou s'il avait eu l'oreille d'un politique), sa hiérarchie lui aurait sans doute demandé de se calmer. Il est d'ailleurs probable que son discours "contrarian"* et pessimiste avait déjà eu des effets négatifs sur sa carrière (en y posant un "glass ceiling" par exemple).

Ce n'est pas par hasard que l'économiste qui apparaît aujourd'hui comme ayant prédit la crise n'ait connu qu'une faible exposition médiatique avant celle-ci. Ce n'est pas un "bug" du système, c'est une "feature" (expression qui veut dire que le système était conçu pour qu'un économiste tenant ce genre de discours n'accède pas à une position de proéminence).

Voici la vidéo. Et un extrait de son intervention:

“there were a small but significant number of economists, thinkers and analysts who – early on – predicted many of the risks and vulnerabilities that eventually led to this crisis. In many ways I simply connected the dot in these different strands of thinking and warnings.

Among a few others Robert Shiller was one of the earliest ones to study in detail and warn about a housing bubble; Kenneth Rogoff and a few other economists warned early on about the unsustainability of the US current account deficits and of the global imbalances; Raghu Rajan presented one of the earliest and sharpest analyses of the agency problems and incentive distortions deriving from compensation schemes in financial institutions; Nassim Taleb and a few other finance scholars stressed the risk of fat tail extreme events in financial markets; Paul Krugman – who received his Nobel for his trade contributions – was the father of currency and financial crisis theories in international macro as at least three generations of currency crisis models were developed from his seminal work; Stephen Roach, David Rosenberg and a few other financial sector analysts warned about the shopped-out, saving-less, bubble-addict and debt-burdened US consumer ; Niall Ferguson provided vivid comparisons between historical episodes of financial crises and current vulnerabilities; Hyun Shin and other scholars in academia provided early modeling of illiquidity and of the perverse effects of leverage during asset bubbles; William White and his colleagues at the BIS were among the first – following the scholarship of Hyman Minsky – to analyze how the “Great Moderation” may paradoxically lead to “Financial Instability”, asset and credit bubbles and financial crises; Gillian Tett and a few other journalists at the Financial Times provided early clear explanations of the arcane complexity of credit derivatives and structured finance and of the systemic risks deriving from these new exotic financial instruments; dozen of serious and deep thinking scholars in academia modeled analytically – and tested empirically - the various aspects of systemic financial crises and the interactions between currency crises, systemic banking crises, systemic corporate and household debt crises and sovereign debt crises.

Given the important work done by these and other scholars and thinkers it was certainly easier for me to connect the analytically and empirical dots and warn early on in the middle of 2006 about the incoming economic and financial tsunami. It is important to recognize that a small but significant number of thinkers were willing to think outside the box and were aware of many risks and vulnerabilities. These thinkers - like myself - were not Dr. Dooms; they were rather Dr. Realists, analytically rigorous and intellectually honest and willing to engage in critical thinking rather than follow the herd of the easy consensus.”

1 commentaire:

Ze Tatitude a dit…

Dans le comte d'Andersen, les adultes ne font pas semblant de croire: Ils sont morts de frousse a l'idee de dire au chef qu'il est a poil. Selon Mike Feiner, The Emperor's New Clothes est le meilleur livre sur le leadership qui existe et qui montre ce qui arrive quand tout le monde a peur du chef. Il faut croire qu'Obama et tous nos dirigeants font vraiment peur. Ou alors, tout le monde a la trouille de perdre son job tres bien paye dans ces spheres de pouvoir! J'ai bien peur que ce soit la deuxieme option la bonne :-(