mercredi 20 janvier 2010

Après son âme, Obama perd le Massachussets

Le Blogo argumente depuis l'élection qu'Obama aurait dû prendre de front la "power structure" car il n'a aucune chance d'être réélu en se contentant de servir de paravent à la faillite de celle-ci. Il aurait dû au contraire s'en dissocier et lui faire porter le chapeau (mérité) de la crise au lieu de s'y associer et de faire tout pour la préserver. Las. En bon mandarin, il a choisi de ne rien bousculer et de croiser les doigts pour que "ça passe". Ca ne passera pas. Il ne fera qu'un mandat et restera dans l'histoire comme un politicien "potiche": sexy, certes, mais effroyablement lâche, manquant d'expérience et sans aucune vision.

Il faut dire que le timing de la crise ne l'a pas aidé (ce qui met de l'eau au moulin de ceux qui pensent que la date de la faillite de Lehman était calculée pour graver dans le marbre les grandes lignes de la politique anti-crise avant l'arrivée du nouveau président). Perdu pour perdu, Obama aurait dû faire "what's right" en résolvant la crise politique qui frappe les Etats-Unis. Il aurait probablement perdu les élections et déchaîné la furie des "special interests" mais il aurait laissé une marque historique en éveillant les citoyens à la capture totale de la démocratie américaine par des intérêts qui ont très peu en commun avec ceux des citoyens. En entraînant la population dans un mouvement populiste contre des élites faillies, il aurait peut-être eu une chance, faible, d'obtenir un second mandat. Au lieu de cela, il s'est laissé balotter de lobby en lobby en ne tenant tête à absolument personne.

Avec sa ligne "Bush sans le stetson", il a démobilisé les démocrates. Et aujourd'hui, il perd le Massachussets. Cette perte du siège de sénateur de Ted Kennedy est un "defining moment" de la politique américaine: en désavouant Obama, les électeurs du Massachussets viennent de sonner le glas de l'innocence américaine et l'entrée dans une ère de turbulences. Tous les citoyens savent désormais que le système tel qu'il existe aujourd'hui ne leur proposera jamais de véritable alternative, de véritable choix politique. Le "change we can believe in" ne viendra jamais de ce pseudo-bipartisme à bout de souffle qui n'offre qu'un simulacre de démocratie. Tant que la crise politique sous-jacente à la crise économique ne sera pas réglée, les réponses apportées à cette dernière ne seront que des cautères sur une jambe de bois. En attendant, chaque jour qui passe, les Etats-Unis font la démonstration au monde que la corruption radicale qui les afflige les rend incapables (et franchement, indignes) d'assurer le leadership mondial qu'ils considèrent comme un droit acquis.

Note: Il est fait beaucoup de cas du fait que les démocrates perdent leur majorité de 60 sénateurs qui leur permettait supposément de faire échec à un "fillibuster" républicain (obstruction pure et simple rendue romantique par le film "Mr Smith au Sénat"). Cet évènement fait grand bruit et on enterre déjà la réforme du système de santé à cause de cela.

Si le système politique américain n'était pas irrémédiablement biaisé, cela ne devrait avoir aucun impact: Bush n'a-t-il pas toujours fait ce qu'il voulait sans jamais avoir une telle majorité? (comme le note Jon Stewart). Pourquoi dit-on que les démocrates perdent leur capacité de réforme? Why? Oh why?

Note sur la note: En pratique, la perte de capacité de réforme est réelle et elle s'explique. Les républicains sont désormais effectivement capables de faire de l'obstruction. Ce qui est difficile à comprendre, c'est pourquoi avec les mêmes règles, les républicains sous Bush ont pu déployer leurs mesures sans redouter des fillibusters démocrates (ce qui aurait conduit à l'impasse et logiquement à une modification de cette règle). C'est en fait la dissymétrie du système politique qui est mise en lumière ici. Les républicains peuvent agir librement car ils ont face à eux une pseudo opposition croupionne (spineless) et divisée qui ne montre jamais les dents. A l'inverse, les démocrates ne peuvent passer aucune législation car ils ont face à eux des républicains intransigeants et soudés. Pourquoi cette différence? A cause de l'argent qui inonde les deux partis et qui détermine les résultats de toutes les confrontations politiques. Et voilà pourquoi, en pratique, la démocratie américaine n'en est plus une.

Note sur la "note sur la note": La barrière des 60 sénateurs laissent penser que l'issue du débat dépend du résultat des élections. S'il y avait 65 démocrates, ces derniers auraient un boulevard et appliqueraient une politique démocrate. Right? Pas du tout. Les special interests monteraient un groupe de 7 ou 8 démocrates qui se déclareraient indépendants et qui feraient basculer le contenu des lois dans un sens favorable. C'est ce rôle qu'avait Joe Lieberman en faisant céder à lui tout seul (mais en fait avec l'appui de la maison blanche) l'ensemble des démocrates sur la "public option" et d'autres points de la loi sur le système de santé. Le système est complètement capturé. Si on baisse la limite du fillibuster à 51, les special interests auront tôt fait de débaucher 11 ou 12 démocrates pour que le rapport de force soit toujours le même. C'est pour ça qu'in fine, ces limites procédurales sont hautement symboliques. Pour savoir comment la politique américaine fonctionne, il ne faut pas s'intéresser aux procédures parlementaires et aux résultats des élections. Il faut regarder quels intérêts, implacablement, immanquablement, gagnent à la fin.