mercredi 2 septembre 2009

"Capitalism: A Love Story", dernier film de Michael Moore

Michael Moore est marginalisé dans les vieux médias et honni par la droite mais il a un impact important. "Sicko" a mis le système de santé au centre des primaires démocrates en 2007. C'est en partie grâce à ce film que la gauche du parti menace de se révolter contre Obama en ne votant pas sa réforme si elle s'avérait trop molle (à la chambre des représentants, inimaginable au sénat).
Au vu de la bande-annonce, on a l'impression que le film a moins de moments forts que Fahrenheit 911. Espérons qu'il sera didactique. Le nombre d'entrées sera aussi un indicateur de l'état d'esprit des américains vis-à-vis de la crise.

Le Japon + digression "blogoesque"

Les élections au Japon sont le premier bouleversement politique de taille dans le monde industrialisé depuis le début de la crise. Le Japon est le pays le plus endetté du monde (relativement à son PIB mais peut-être même en valeur absolue), mais c'est aussi toujours un des principaux bailleurs de fonds des américains. Le nouveau gouvernement veut modifier la relation avec les Etats-Unis (pas radicalement, certes) au moment précis où ces derniers sont en situation de faiblesse et donc moins à même d'opposer une résistance solide à ces velléités d'indépendance. Ce genre de changement politique de fond peut dans le futur avoir un effet déstabilisateur sur les Etats-Unis en modifant leur environnement en Asie et donc leur source de financement. Le nouveau premier ministre a fait Stanford mais cela n'a pas entamé son indépendance d'esprit. Il a notamment déclaré: "Nous voulons nous dégager de notre dépendance vis à vis des Etats-Unis et nous diriger vers une alliance sur un pied d'égalité" et "Nous avons suivi les Etats-Unis de manière servile dans le passé".

Un peu comme quand les remous dans les pays de l'Est ont sonné le glas de l'empire soviétique, les ennuis peuvent commencer à la périphérie. L'émergence de gouvernements susceptibles d'abandonner des arrangements économiques passés est forcément un sujet de préoccupation très important des américains. S'il s'agit d'un pays de la taille du Japon, cela devient une priorité. A suivre donc...

Note: Comparer les Etats-Unis à l'URSS peut paraître dépasser les bornes. Pour rassurer le lecteur texan, je précise que je n'ignore pas qu'il faisait meilleur vivre du côté américain du rideau de fer après la guerre. L'esprit critique envers les Etats-Unis qui anime le Blogo date d'ailleurs essentiellement de la réaction des américains au 11 septembre d'un point de vue de politique étrangère (guerre en Irak) et de politique économique (baisse des taux jamais vue précédemment qui nous a emmené là où nous en sommes aujourd'hui). Les deux sont d'ailleurs liés comme vu ici. Certes les mécanismes de la domination américaine existaient avant le 11 septembre et l'avantage économique que les américains en tiraient était probablement déjà excessif mais il ne m'inquiétait pas. J'adhérais en gros aux valeurs dont les américains se réclamaient et je croyais que leurs prouesses économiques avaient des bases solides (ce qui était presque défendable à l'époque). J'ignorais la faiblesse de leur système de représentation démocratique et j'allais découvrir que la scène était prête pour que des élites irresponsables conduisent le pays à la catastrophe à la faveur des attentats du 11 septembre.
Où l'on reparle de la chute de l'URSS d'ailleurs car il est très probable que ce qui a fait perdre la tête aux élites américaines et conduit aux excès de l'ère Bush ait été principalement la disparition de l'adversaire communiste. On voit bien en effet l'intérêt qu'il y a à avoir une posture morale forte et sans ambiguïté pour emporter le soutien de son camp quand on est confronté à un adversaire qui pèche justement de ce côté là. Mais on peut très vite perdre de vue l'intérêt de cette posture morale s'il n'y a plus personne à convaincre.
On a dit aussi que le capitalisme, perdant son adversaire communiste en pleine révolution conservatrice "Reagan/Thatcher", n'a plus eu besoin de s'embarasser de sa composante sociale qui était un moyen de dissuader la population de se tourner vers l'alternative communiste. En gros, un modèle incontesté pouvait se montrer plus impitoyable et moins "avenant" vis à vis de ses consommateurs (les citoyens) qu'un modèle confronté à un challenger. C'est la loi du marché en politique: le monopole satisfait moins bien le consommateur que le duopole... Les élites occidentales ont donc pu capter une partie plus importante du gâteau économique après la chute du mur de Berlin car elles étaient débarassées de toute pression politique crédible qui les en auraient dissuadé (des masses revendicatrices et organisées qui les tiennent en respect par exemple).
En disparaissant, cette théorie voudrait que le communisme ait dégradé la qualité de notre capitalisme. Cela signifierait que nombre d'avantages sociaux obtenus dans la période d'après-guerre auraient été une conséquence de la douloureuse expérience communiste des peuples de l'Est. Voilà qui donne le vertige. Et comment créer aujourd'hui, sans menace externe (autant éviter de faire vivre la moitié de la planète dans l'obscurité), un système qui permette de canaliser les forces inquiétantes qui, livrées à elles-mêmes, viennent de planter l'économie mondiale?

On peut aussi voir cette histoire du point de vue des élites américaines qui se sont réveillées un beau matin avec entre les mains un pouvoir qu'elles ont cru absolu. Sans surprise, ce pouvoir absolu les a corrompu absolument. Je me dis souvent que les élites françaises, elles, sont bien vertueuses par rapport aux élites américaines: pas de guerre d'agression, pas de corruption hors de contrôle, pas d'entorses radicales aux grands principes démocratiques. Mais donnez à ces élites françaises la première armée du monde (sans opposant notable) et la monnaie de réserve mondiale (dont il est facile d'user et d'abuser comme en ce moment) et il n'est pas impossible que le film auquel nous venons d'assister se déroule en gros de la même manière. Et je prends la France en exemple mais l'idée est bien sûr généralisable à tous les Etats. En d'autres termes, la surexpansion impériale n'est-elle pas dans l'ordre des choses tant qu'elle ne rencontre pas d'opposition? C'est donc cette opposition qu'il nous revient de mettre en place aujourd'hui devant l'épuisement imminent de l'empire américain. Face à l'inefficacité et aux dangers que représentent une trop forte concentration de richesses et de pouvoirs, il faut que les nations du monde s'organisent pour trouver un mode de gouvernement moins centralisé et plus stable que l'ordre impérial*. Et tout cela en douceur pour que le dégrisement américain ne conduise pas dans un premier temps à encore plus d'aventurisme militaire. Une telle organisation collégiale et équilibrée est-elle possible? A part l'Union Européenne, on ne voit pas tellement d'exemple et on peut se demander si celle-ci ne doit pas son succès au fait qu'elle s'est développée dans le confort de l'ordre américain.

Désolé pour cette digression indigeste (ça faisait longtemps).

* Si la notion d'empire vous fait doucement sourire et évoque chez vous une rhétorique gauchiste très "20ème siècle", je vous renvoie au nombre de pays dans le monde qui ont une présence militaire américain et à la part des Etats-Unis dans le PIB mondial par rapport à leur population.