Un point particulier a attiré mon attention dans la série de petits extraits que j'ai vus de l'émission d'Arlette Chabot qui est partie en vrille jeudi soir. Bayrou a fait dans la "conspiracy theory" en disant qu'un sondage commandité par des chaînes publiques et "Le Monde" pouvait avoir eu pour objectif de le faire apparaître dans une position affaiblie juste avant l'élection. Arlette Chabot est consternée par cette mise en cause de l'intégrité des sondeurs et de la chaîne.
C'est au coeur d'une question que je me pose souvent: quel crédit accorder aux sondages en général?
J'ai une réponse simple: les sondages forment l'opinion au même titre que la télé ou les journaux. Il n'y donc aucune raison qu'ils ne soient pas soumis aux mêmes jeux d'influences que ceux-ci. Mais il y a la rigueur scientifique me direz-vous. Les agences de notation ont démontré que dans ce genre d'interaction, c'est le commanditaire qui fait la loi. Alors tous pourris les sondeurs? Non, mais comme lorsqu'on lit des journaux, je pense que la vigilance est de mise. Je n'imagine pas qu'un grand institut de sondage français puisse vous laisser choisir les résultats d'un sondage pourvu que vous le payiez. En revanche, jouer sur les marges d'incertitude statistique, manipuler les questions pour obtenir les réponses souhaitées sont à mon avis monnaie courante. Et puis si le sondage gêne on peut toujours ne pas le publier.
En gros, même si je ne soutiens pas Bayrou, le schéma qu'il décrit ne me paraît pas "ridicule" comme semble vouloir nous en persuader Arlette Chabot (il ne me paraît pas du tout "certain" non plus). Qu'à l'approche d'une élection, certains instituts s'emballent et qu'ils servent la soupe à des conseillers politiques amis ne me paraît pas hors de question comme semble le croire Arlette Chabot. Savoir si les élection européennes et Bayrou nécessitent ce genre d'intervention est plus difficile. Si c'est le cas, on se demande si un sondage TF1/Le Figaro n'est pas un véhicule plus naturel à une attaque Sarkozyste anti-Bayrou qu'un sondage Le Monde/Chaînes publiques.
Quoi qu'il en soit, ce que veut Arlette Chabot, c'est que le téléspectateur s'indigne avec elle qu'on puisse remettre en cause des institutions (au sens large) comme France 2, Le Monde et un institut de sondage. Cette demande est exorbitante. Une bonne dose de scepticisme et d'esprit critique chez les citoyens est un ingrédient essentiel de la démocratie. Le respect des institutions et la confiance que la société ont en elles permettent la vie en société. Mais ces institutions doivent prouver chaque jour au peuple qu'elles sont à la hauteur de la confiance qu'il leur porte. La confiance aveugle qui plairait à Mme Chabot est mauvaise conseillère (les banques aux Etats-Unis en sont un exemple mais à une moindre échelle, Enron ou le Crédit Lyonnais en sont d'autres exemples). Alors oui, on peut soupçonner un institut de sondage et ses commanditaires de collusion avec des intérêts politiques. On peut aussi plus prosaïquement les soupçonner de nullité comme en 2002 où le scénario de la présidentielle n'avait été ne serait-ce qu'envisagé par aucune d'entre elles (si je me souviens bien).
Arlette Chabot doit donc réaliser qu'aucune institution n'a le droit à une confiance inconditionnelle et que nous traversons précisément une période où, à juste titre devant leurs échecs patents, beaucoup d'entre elles pourraient voir leurs statuts et leur rôle contestés. Evidemment, le credo du blogo est que c'est beaucoup plus le cas aux Etats-Unis mais certaines évolutions récentes en France invite à toujours plus de vigilance (le cliché éculé n'est-il pas que les Etats-Unis ont vingt ans d'avance sur nous?).
Note: Les sondages ont un rôle complètement stratégique quand une campagne de propagande tente de gagner l'opinion à une cause comme
ce fut le cas en 2003 sur l'Irak aux Etats-Unis. A ce moment là, j'avais vu de visu que le Washington Post avait manipulé sans vergogne des résultats (en allant sur le site de gallup, on constatait que les chiffres bruts étaient en contradiction avec l'article en rendant compte). Surtout, après les manifestations massives du 15 février, il y a eu une période très longue (au moins une semaine si je me souviens bien) où aucun sondage n'avait été publié.
Paradoxalement, cette expérience renforce plutôt mon image des sondages: si on ne les publie pas quand ils gênent, cela veut bien dire qu'on ne peut pas purement et simplement en acheter les résultats. On ne peut cependant généraliser et il en va très probablement des sondages comme du reste: selon les pays, les époques et les sujets, ils sont le résultat d'un processus parfois très intègre, parfois moins.