lundi 13 avril 2009

Annuler et interdire les Credit Default Swaps

Il faut annuler les CDS existants et interdire la production de nouveaux CDS dans le futur.

(Avant de continuer, rapide didacticiel sur les CDS.)

Le Blogo a défendu cette position (radicale - je ne l'ai jamais vue défendue*) pour la première fois le 23 février. Comme pour la nationalisation des banques (défendue depuis le 9 octobre à un moment où ça n'était pas encore à la mode) je pense que ce thème va devenir important dans les mois à venir. La raison en est simple: ces contrats ne pourront pas être honorés. L'annulation de ces contrats n'est pas simplement nécessaire pour éviter la faillite des banques (elles sont déjà en faillite), c'est la seule solution pour éviter la faillite des Etats qui se sont portés garants de ces banques. Ils sont devenus à ce moment là des heureux participants du marché des CDS. Il aurait fallu dès cet instant que les gouvernements fassent place nette en mettant fin à tout trading de CDS (notamment) mais ils ont préféré faire confiance aux traders (qui avaient fait leurs preuves...) pour gérer au mieux l'argent des contribuables (voir ici).

L'idée d'annuler les contrats est délicate d'un point de vue juridique mais je crois que l'on va très vite se rendre compte qu'essayer de les honorer ne va pas être simplement "délicat" mais réellement impossible. Pour le moment, le gouvernement américain a démontré qu'il était déterminé à payer comme dans le cas d'AIG où les contreparties de CDS "subprime" ont toutes vu leurs paiements effectués rubis sur l'ongle. Une autre stratégie (qui revient à l'annulation des contrats sans le dire) a été de prévenir les faillites dans le système bancaire mais aussi dans l'automobile. En empêchant les évènements de défaut d'intervenir pour BS, ML, Wachovia etc..., l'Etat a épargné pour l'instant aux CDS d'apparaître pour ce qu'ils sont: des "financial weapons of mass destruction" (Warren Buffet).

Cette stratégie de boucher les fissures une par une fasse à un barrage sur le point de céder ne peut pas durer toujours et il va arriver un moment où le coût de ces pis-allers va devenir exorbitant. Enters the "annulation scheme"! (à prononcer en anglais même si "annulation" ne l'est guère). Il n'est pas impossible d'imaginer que cette révolution copernicienne se produira précisément au moment où Goldman Sachs n'estimera plus judicieux de faire face à ses obligations en matière de CDS. Just sayin...

Comme d'habitude depuis le début de la crise, l'anticipation est nulle car on confond "identifier une difficulté" et "créer une difficulté". Comme un enfant qui croit faire disparaître son interlocuteur en se cachant les yeux, les banquiers font disparaître la difficulté en l'évitant du regard.

D'une certaine manière, un des problèmes que posent les Credit Default Swaps (voir le didacticiel sommaire du Blogo sur les CDS dans le post précédent) touchait déjà les pools d'emprunts dans le subprime. Sur 1000 emprunts, on considérait que dans le pire des cas, 40 feraient défaut simultanément et pas 250 (ou plus) comme on le voit actuellement. Pour les CDS, le problème est similaire: les banques ont calculé qu'un certains nombre de sociétés pouvait faire défaut en même temps mais elles n'ont pas envisagé une crise comme celle que nous traversons. Loin d'imaginer une crise de cette ampleur, elles ont au contraire essayer de rationaliser l'idée selon laquelle les crises à venir seraient moins graves que par le passé. C'est ainsi qu'on lisait régulièrement avant 2007 que, dorénavant, les "technologies" de gestion du risque étaient arrivées à un niveau de sophistication jamais atteint, que le risque n'avait jamais été aussi bien maîtrisé dans l'histoire et qu'il était de plus réparti de manière homogène sur toute la planète (grâce à la sécuritisation). Cela a permis de rationaliser la plupart des excès de la période et il y avait peu d'esprit indépendant comme Stephen Roach de Morgan Stanley qui osait pointer du doigt qu'on était, bien au contraire, en train de constituer la plus grosse bombe financière de tous les temps (dire cela était mauvais pour les bonus ce qui ne faisait pas que des amis).

Le nombre de défauts possibles simultanément a été sous-estimé mais ça n'est pas le seul problème. Les CDS ont ceci de magique qu'à court terme, ils rapportent de l'argent à ceux qui en émettent. C'est typiquement ce qu'a fait AIG avant sa faillite mais il s'agit juste d'un cas particulier du mécanisme qui a poussé tout le système financier à produire des CDS à tour de bras depuis dix ans: on génère immédiatement du revenu sans immobilisation de capital. Après, on démontre à son département "risque" en prenant un historique de deux ans que l'on a pris un risque epsilonesque et on vient de trouver la poule aux oeufs d'or. Alors, on imprime des CDS "En veux-tu? En voilà." sans aucune limite. Dix ans plus tard, tout le monde est condamné à ce que tout se passe bien car sinon des montants à proprement parler astronomiques deviendraient exigibles si quelques évènements de défaut seulement se produisaient (on évalue entre $25 et $60 trilliards le notionnel de tous les CDS existants). Le seul défaut de General Motors pourrait rendre exigible 6 à 7 fois la dette de GM ($40 billion) selon Nouriel Roubini. D'autres parlent d'un trillion. On ne sait pas vraiment car ces produits ne sont pas traités sur un marché mais "over the counter" ce qui veut dire que deux intervenants de marché se mettent d'accord et qu'ils sont les deux seuls à être au courant de la transaction. De plus, cet engagement est hors-bilan.

Il faut noter ici que beaucoup de ces engagements se compensent les uns les autres car deux grandes institutions peuvent quotidiennement faire des trades qui annulent leurs effets en cas de défaut. Il n'en demeure pas moins qu'en raison des montants en jeux, un défaut à l'instant t peut mettre à terre une banque qui aurait été sauvée par un autre défaut à t+1 mais qui ne sera plus là pour le voir. C'est dans ce contexte que les CDS peuvent être considérés comme des "weapons of mass destruction". Sur le subprime, AIG était clairement la plus exposée et on a vu le résultat (même si elle avait en plus d'autres faiblesses).

Nous en sommes là. Les Etats font des pieds et des mains depuis le début de la crise pour qu'aucun "évènement de défaut" déstabilisateur ne vienne perturber ce système instable en rendant exigibles les garanties théoriquement apportées par les CDS. Le défaut est devenu interdit. Des faillites à répétition dans les banques auraient par exemple déclenché cette spirale infernale. Les gouvernements du monde entier tiennent le système à bout de bras, ici en évitant la faillite d'une banque, là en prenant à son compte les obligations d'une société d'assurance (AIG par exemple).

Le cas d'AIG est particulièrement intéressant car AIG a émis massivement des CDS sur les obligations "subprime". L'intérêt pour eux était probablement d'obtenir des cashflows à court terme. En face, des institutions en meilleure posture ont clairement profité du fait qu'AIG était aux abois. Les CDS subprime n'existent que depuis 2005 (contre fin des années 90 pour le risque "corporate" et le risque souverain). Peu après leur apparition en 2005, la crise du subprime est apparue inévitable. Il semble qu'AIG ait offert de la protection sur ces bonds toxiques à un moment où tout le marché cherchait à prendre l'autre sens de ce trade. Et Goldman l' a fait particulièrement massivement. En toute logique, "shorter" le subprime à ce moment là n'aurait jamais dû rapporter: toute institution trop impliquée dans la vente de protection n'y résisterait pas et le risque de contrepartie aurait dû dissuader tout acteur raisonable de se couvrir de cette façon. Ce cas est également intéressant car si le marché des CDS corporate (plus vieux et plus important) dans son ensemble n'a pas encore connu beaucoup d'évènements de défaut, il y en a eu dans le subprime (sur des BBB par exemple même si j'ai aussi lu que l'évènement de défaut pouvait être un downgrade***). Les sommes importantes qui sont devenus dès lors exigibles ont coulé AIG mais elles ont été payées grâce à Uncle Sam (le gouvernement américain ayant payé les obligations AIG). Cela a permis à des intervenants qui avaient pris un risque idiot (le risque de contrepartie d'AIG) de se retrouver complètement protégées par des politiciens corrompus et des contribuables inertes.

Cela constitue donc un précédent: si une institution financière ne peut honorer les CDS qu'elle a vendus, l'Etat viendra à son secours. En réalité, les montants seront plus importants la prochaine fois et le gouvernement ne pourra pas faire face (si tant est qu'il ne soit pas d'ores et déjà "way over its head" mais ça, c'est une autre histoire pas directement liée aux CDS).

Vous souvenez-vous de la "Doomsday Machine" (machine infernale) du docteur folamour qui devait faire exploser la planète entière si une seule explosion atomique intervenait? C'est un peu ce que les CDS ont créé en matière de défaut dans le système financier international. Quelques défauts pourraient rendre exigibles des sommes tellement faramineuses que les ressources financières des Etats ne suffiraient pas à ramener la confiance. Annuler les CDS revient à désamorcer la Doomsday Machine. Dans le film, toute tentative de désamorçage conduit à son explosion une fois qu'elle est mise en route. Il est clair que l'annulation de tous les CDS causerait des remous importants mais je pense qu'ils seraient bien moindre que de laisser se dérouler passivement le jeu de massacre que nous avons devant nous.


* J'ai vu des articles où on suggérait de les interdire mais pas de les annuler.
** C'est un des nombreux sujets sur lesquels j'aimerais trouver des éclaircissments. Le rythme effréné de la crise ainsi que l'opacité des actions de la FED n'ont pas permis d'avoir des réponses sur les sujets suivants (si vous en avez, ça m'intéresse): Sur quels types de sous-jacents ont eu lieu ces paiement d'AIG-FP? Pour quels montants? Pour les CDS, quel a été l'évènement de défaut? Le paiement complet du notionel du CDS était-il la seule solution? Sinon, pourquoi a-t-elle été retenue? Vu l'état d'AIG-FP, n'était-il pas raisonable de ne payer qu'une partie des sommes exigibles par les contreparties (voire rien du tout)? etc...
Je me souviens par exemple que quand on m'a expliqué les CDS subprime, on m'a dit que l'évènement de défaut était que les cum loss se mettaient à rogner une tranche et qu'à partir de là, c'était "pay as you go" indépendamment des casflows prévus dans la structure (ce qui est énorme quand on y pense car cela veut dire que la structure compterait pour le cash mais pas pour le CDS). Depuis, j'ai lu que c'était le downgrade qui avait rendu ces notionnels de CDS exigibles... Vos éclairages/commentaires sont les bienvenus si vous en avez.

Qu'est-ce qu'un CDS?

Un CDS est un contrat entre deux parties qui vise à inverser les paiements d'une obligation classique. Vous payez la prime liée au risque de crédit de l'emprunteur et si celui-ci fait défaut, votre contrepartie vous paye le principal. Le paiement du principal est en général déclenché par la faillite qu'on appelle "évènement de défaut".

Si, par exemple, vous achetez une obligation émise par El Blogo, vous lui donnez 100 millions de votre argent puis El Blogo vous paye 5% par an par exemple et vous rembourse à maturité. Si El Blogo fait défaut avant la maturité, vous perdez l'argent que vous avez prêté.
Si vous achetez une protection contre une faillite d'El Blogo (autrement dit, un CDS), vous payez 5% par an sur un notionel de votre choix (qui n'est pas contraint par le principal de la dette sous-jacente) et en cas de faillite ("évènement de défaut"), on vous paye 100% de ce montant .

(L'exemple précédent est simplifié, notamment parce que le prêteur récupère généralement une partie du principal.)

Il y a une limite au volume d'obligations qu'une société peut émettre: à partir d'un certain niveau, les analystes financiers vont se dire que le niveau de dettes est trop élevé par rapport aux actifs et les marchés vont couper le robinet de la dette (en la rendant plus chère). Ainsi, si une société fait défaut, elle peut "planter" ses créditeurs d'un nombre de milliards limités, proportionnel à son réel poids économique (des dizaines de milliards au maximum). C'est le "défaut à papa". Dans le cas des CDS, cette "real world" limite n'existe pas et on entre dans le défaut "New Age": l'évènement de défaut rend exigible un montant illimité. Etant donné qu'il n'y aucune limite aux transactions entre participants, l'évènement de défaut peut rendre exigible des dizaines ou des centaines de fois les montants perdus par les prêteurs originaux. C'est comme ça qu'une banque peut soutenir une société en difficulté car elle se sait très exposée à cette faillite en particulier à cause de son book de CDS. Une banque ayant fait le pari inverse peu quant à elle avoir intérêt au défaut...


On voit bien dans le fonctionnement de base d'un CDS qu'il représente une aubaine pour celui qui est en mesure d'en créer: à court terme, il reçoit du cash et il n'a pas à immobiliser de capital en collatéral. C'est la martingale. De l'autre côté du trade, un zozo paye l'illusion de la sécurité mais il sait qu'au risque de défaut contre lequel il se couvre s'ajoute un risque de contrepartie. Dans un contexte où les défauts sur des grands noms avaient quasiment disparu de la carte depuis l'an 2000, les CDS ont explosé. L'emprunteur subprime a du mal à résister à la notion de "cash immédiat" et le vendeur de CDS peut d'une certaine manière tomber dans le même panneau s'il est en difficulté comme cela semble avoir été le cas pour AIG.

Pour les conséquences néfastes de ces produits, voir ici. Le Blogo défend leur annulation et leur interdiction.