Le regain d'optimisme sur les marchés et dans les médias est complètement décorrélé de la situation économique. Il a une et une seule justification: les banques de Wall Street ont désormais de bonnes raisons de penser qu'elles n'ont pas perdu en influence avec le changement d'administration et que l'Etat américain est toujours prêt à se jeter sous un train pour les sauver.
Il n'y a rien dans les données économiques qui justifie cette idée de plus en plus omniprésente que "la crise est derrière nous". Ni les résultats de la "earnings season", ni le marché de l'immobilier (qui aurait touché un plancher alors que les foreclosures battent des records...), ni les chiffres de l'emploi, ni les chiffres de la croissance. Rien. Nada. Zilch.** Le cheerleading qu'on entend en ce moment est du même ordre que celui qui a permis cette crise: on se croirait revenu en 2006.
La crise bat son plein. You read it here first (bon, sur ce coup, peut-être pas).
* Faisons la fête comme si nous étions en 2006!
**Ah si! Peut-être le "dead cat bounce" de la confiance des ménages qui croient, après tout, ce qu'ils lisent (ils ne sont pas raisonnables aussi).
Note: post publié avant "la surprise" des très mauvais chiffres sur l'immobilier US publiée à 14H30.
mardi 19 mai 2009
La CJR donne un bonnet d'âne aux médias eco
La Columbia Journalism Review s'est lancée dans l'examen minutieux du traitement de la crise du subprime entre le 1er janvier 2000 et le 30 juin 2007 par les journaux suivants: The Wall Street Journal, The New York Times, the Los Angeles Times, The Washington Post, Bloomberg News, Financial Times, Fortune, Business Week, and Forbes. Le réquisitoire est extrêmement sévère. La critique de la "corruption institutionnelle" (leur expression) qui a atteint le financement du housing est quasiment absente des organes de presse passés en revue. A noter qu'ils ont mis en ligne avec l'article un fichier Excel avec plus de 700 articles recensés sur la période.
Voici quelques paragraphes sélectionnés:
This isn’t about identifying which journalist or economist was “prescient,” the business-press parlor game du jour. What’s important is that forthright press coverage and uncompromised regulation combined to create a virtuous cycle of reform.
...
...
What makes this development especially maddening is that subprime lending and Wall Street’s CDO production at this point were only just getting started. Subprime mortgages in 2002 were $200 billion, 6.9 percent of all mortgages. By 2006 they were $600 billion and 20 percent of the market. Add poorly documented “Alt-A” mortgages and the 2006 figures rise to $958 billion and 32 percent. CDO production went from next to nothing in 2000 to half a trillion in 2006.
...
These are valuable stories. But to get the public involved you need more. You need stories of institutionalized corruption. There’s no way around it.
What was missing—and needed—were more stories like the one that ran on February 4, 2005 in the Los Angeles Times by Mike Hudson and Scott Reckard: “Workers Say Lender Ran ‘Boiler Rooms.’ ”
...
It is disingenuous, I believe, to suggest, as many financial journalists do, that they are unfairly expected to have been soothsayers in the economic crisis (e.g. “Financial Journalism and Its Critics,” Robert Teitelman, TheDeal.com, 3/6/09: “Why, among all other journalists, are financial reporters expected to accurately predict the future?”). Rather, the expectation is merely that financial outlets do their best to report on what is happening now, including, one would hope, confronting powerful institutions directly about basic business practices. This is not complicated.
...
In light of this general system failure, what are the lessons for the general reader and the business press itself? First, the public should be aware—warned, so to be speak—that its interests and those of the business press may not be in perfect alignment. :-) No Shit! J'adore...
Voici quelques paragraphes sélectionnés:
This isn’t about identifying which journalist or economist was “prescient,” the business-press parlor game du jour. What’s important is that forthright press coverage and uncompromised regulation combined to create a virtuous cycle of reform.
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Alas, any fair reading of the record will show the business press subsequently lost its taste for predatory-lending investigations and developed a case of collective amnesia about Wall Street’s connection to subprime, rediscovering it only after the fact.
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What makes this development especially maddening is that subprime lending and Wall Street’s CDO production at this point were only just getting started. Subprime mortgages in 2002 were $200 billion, 6.9 percent of all mortgages. By 2006 they were $600 billion and 20 percent of the market. Add poorly documented “Alt-A” mortgages and the 2006 figures rise to $958 billion and 32 percent. CDO production went from next to nothing in 2000 to half a trillion in 2006.
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These are valuable stories. But to get the public involved you need more. You need stories of institutionalized corruption. There’s no way around it.
What was missing—and needed—were more stories like the one that ran on February 4, 2005 in the Los Angeles Times by Mike Hudson and Scott Reckard: “Workers Say Lender Ran ‘Boiler Rooms.’ ”
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It is disingenuous, I believe, to suggest, as many financial journalists do, that they are unfairly expected to have been soothsayers in the economic crisis (e.g. “Financial Journalism and Its Critics,” Robert Teitelman, TheDeal.com, 3/6/09: “Why, among all other journalists, are financial reporters expected to accurately predict the future?”). Rather, the expectation is merely that financial outlets do their best to report on what is happening now, including, one would hope, confronting powerful institutions directly about basic business practices. This is not complicated.
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In light of this general system failure, what are the lessons for the general reader and the business press itself? First, the public should be aware—warned, so to be speak—that its interests and those of the business press may not be in perfect alignment. :-) No Shit! J'adore...
Confessions d'un emprunteur américain
Un article hors du commun dans le New York Times Magazine. Il raconte la "crise du crédit" personnelle de l'auteur, journaliste au NYT. L'article est long: c'est une tranche de vie. Je vous en conseille la lecture mais j'imagine que la plupart des lecteurs du blogo n'ont pas le temps de se lancer dans un article de 6 pages (ou ne parlent pas anglais). J'en ai donc fait un rapide résumé.
L'auteur commence par raconter comment cette histoire n'aurait pas dû lui arriver: journaliste économique au NYT, il avait déjà écrit des articles sur les dérives de l'immobilier aux Etats-Unis quand son histoire commence en 2004. Il explique comment l' "amour" et la perspective de refonder une famille recomposée après un divorce lui a fait perdre la boussole de ses finances personnelles.
S'ensuit l'achat d'une maison trop onéreuse par rapport à ses revenus (essentiellement parce qu'il paye $4000 de pension alimentaire à son ex-femme ce qui lui laisse $2700 - sa rémunération annuelle est de $120000). Il veut utiliser son bon "FICO score" (note mesurant la qualité de crédit de tous les américains, il est bon si vous payez vos dettes en temps et en heure) et son boulot stable pour obtenir le meilleur emprunt possible. Son "mortgage broker" lui conseille de ne pas faire état de ses obligations relatives à la pension alimentaire. Un problème administratif apparaît alors: son ancien emprunt immobilier (repris par sa femme) refait surface. S'il révèle qu'il est désormais exclusivement au nom de son ex-femme, la question de la pension alimentaire se posera forcément.
Apparté: dans une société qui n'est pas corrompue depuis des années par des banquiers véreux qui ont systématiquement fait sauter toutes les contraintes règlementaires sur l'octroi de crédit, c'est ici que cette histoire se serait arrêtée. Mais nous sommes aux Etats-Unis en 2004...
Son mortgage broker commence alors à se comporter comme un "pusher" qui donne de la drogue pour se constituer une clientèle. Il lui suggère de faire un emprunt sans déclaration sur son patrimoine ("No Assets"). Notre journaliste achète la maison pour $500000. Au bout de six mois, en 2005, il réalise qu'il est en difficulté: plus d'argent à la banque. S'ensuit une cavalcade à coups de dépenses de credit cards qui lui sont évidemment proposées. Il paiera jusqu' à 27% d'intérêts sur ses credit cards. Son couple frôle la rupture en raison de tensions sur les dépenses.
Vient alors la deuxième couche: il retourne voir son dealer (le mortgage broker) et se refinance cette fois dans du subprime pur et dur (son FICO score ne lui permet plus d'accéder aux emprunts de meilleur qualité). Il obtient un nouvel emprunt en 2006 en bénéficiant du fait que sa maison s'est appréciée mais son paiement mensuel augmente de 30% à $3700. Il consolide au passage ses dettes de carte de crédit ce qui lui crée mécaniquement de nouvelles lignes de crédits. Cela tombe bien car sa compagne perd à nouveau son emploi... Il est pris à la gorge en octobre 2008 et contacte sa banque pour modifier son prêt (il a déjà deux mois de retard).
L'article se finit cependant sur une note inattendue qui conforte une hypothèse émise de longue date sur El Blogo: il habite sa maison depuis 6 mois sans payer son emprunt et il ne lui arrive rien. L'infrastructure qui expulse et se réapproprie les biens immobiliers est engorgée: ne plus rembourser n'entraîne plus l'éviction "manu militari". Si on se place du point de vue de Robin des Bois, on peut voir ça avec un peu de sympathie mais cela trahit en fait une dislocation du marché immobilier américain qui est extrêmement inquiétante. Quand le bruit commence à courir que le non paiement n'entraîne plus l'éviction, qui continue à rembourser son mortgage?
Ces disruptions font en réalité froid dans le dos et donnent réellement envie de "water boarder" notre commentariat économique qui s'accorde aujourd'hui massivement pour une reprise au second semestre (même si quelques fortes têtes isolées ne la situe que début 2010...). La réalité est que depuis 10 ans les américains ont signé tellement de contrats insensés qu'il faudrait une armée entière pour en obtenir aujourd'hui l'application et réduire en esclavage pendant plusieurs années la moitié de la population. Les lobbyists des banques sur Capitol Hill mettent tout en oeuvre pour que toute la force coercitive de l'Etat s'applique sur les mauvais payeurs mais ils ne prennent pas en compte le fait que "l'infrastructure de recouvrement" à l'échelle nationale est cassée (il faut dire que personne n'en parle et qu'on ne le devine ici que par la bande, à l'occasion d'une anecdote à l'issue d'un long article).
Le dernier contrat insensé signé aux Etats-Unis est celui par lequel d'un trait de plume, le gouvernement s'est porté garant du système bancaire. Comme pour tous les autres contrats foireux depuis dix ans, la planète entière tente de se persuader que celui-là sera honoré. Tout le monde ne veut-il pas sa part de rêve américain?
L'auteur commence par raconter comment cette histoire n'aurait pas dû lui arriver: journaliste économique au NYT, il avait déjà écrit des articles sur les dérives de l'immobilier aux Etats-Unis quand son histoire commence en 2004. Il explique comment l' "amour" et la perspective de refonder une famille recomposée après un divorce lui a fait perdre la boussole de ses finances personnelles.
S'ensuit l'achat d'une maison trop onéreuse par rapport à ses revenus (essentiellement parce qu'il paye $4000 de pension alimentaire à son ex-femme ce qui lui laisse $2700 - sa rémunération annuelle est de $120000). Il veut utiliser son bon "FICO score" (note mesurant la qualité de crédit de tous les américains, il est bon si vous payez vos dettes en temps et en heure) et son boulot stable pour obtenir le meilleur emprunt possible. Son "mortgage broker" lui conseille de ne pas faire état de ses obligations relatives à la pension alimentaire. Un problème administratif apparaît alors: son ancien emprunt immobilier (repris par sa femme) refait surface. S'il révèle qu'il est désormais exclusivement au nom de son ex-femme, la question de la pension alimentaire se posera forcément.
Apparté: dans une société qui n'est pas corrompue depuis des années par des banquiers véreux qui ont systématiquement fait sauter toutes les contraintes règlementaires sur l'octroi de crédit, c'est ici que cette histoire se serait arrêtée. Mais nous sommes aux Etats-Unis en 2004...
Son mortgage broker commence alors à se comporter comme un "pusher" qui donne de la drogue pour se constituer une clientèle. Il lui suggère de faire un emprunt sans déclaration sur son patrimoine ("No Assets"). Notre journaliste achète la maison pour $500000. Au bout de six mois, en 2005, il réalise qu'il est en difficulté: plus d'argent à la banque. S'ensuit une cavalcade à coups de dépenses de credit cards qui lui sont évidemment proposées. Il paiera jusqu' à 27% d'intérêts sur ses credit cards. Son couple frôle la rupture en raison de tensions sur les dépenses.
Vient alors la deuxième couche: il retourne voir son dealer (le mortgage broker) et se refinance cette fois dans du subprime pur et dur (son FICO score ne lui permet plus d'accéder aux emprunts de meilleur qualité). Il obtient un nouvel emprunt en 2006 en bénéficiant du fait que sa maison s'est appréciée mais son paiement mensuel augmente de 30% à $3700. Il consolide au passage ses dettes de carte de crédit ce qui lui crée mécaniquement de nouvelles lignes de crédits. Cela tombe bien car sa compagne perd à nouveau son emploi... Il est pris à la gorge en octobre 2008 et contacte sa banque pour modifier son prêt (il a déjà deux mois de retard).
L'article se finit cependant sur une note inattendue qui conforte une hypothèse émise de longue date sur El Blogo: il habite sa maison depuis 6 mois sans payer son emprunt et il ne lui arrive rien. L'infrastructure qui expulse et se réapproprie les biens immobiliers est engorgée: ne plus rembourser n'entraîne plus l'éviction "manu militari". Si on se place du point de vue de Robin des Bois, on peut voir ça avec un peu de sympathie mais cela trahit en fait une dislocation du marché immobilier américain qui est extrêmement inquiétante. Quand le bruit commence à courir que le non paiement n'entraîne plus l'éviction, qui continue à rembourser son mortgage?
Ces disruptions font en réalité froid dans le dos et donnent réellement envie de "water boarder" notre commentariat économique qui s'accorde aujourd'hui massivement pour une reprise au second semestre (même si quelques fortes têtes isolées ne la situe que début 2010...). La réalité est que depuis 10 ans les américains ont signé tellement de contrats insensés qu'il faudrait une armée entière pour en obtenir aujourd'hui l'application et réduire en esclavage pendant plusieurs années la moitié de la population. Les lobbyists des banques sur Capitol Hill mettent tout en oeuvre pour que toute la force coercitive de l'Etat s'applique sur les mauvais payeurs mais ils ne prennent pas en compte le fait que "l'infrastructure de recouvrement" à l'échelle nationale est cassée (il faut dire que personne n'en parle et qu'on ne le devine ici que par la bande, à l'occasion d'une anecdote à l'issue d'un long article).
Le dernier contrat insensé signé aux Etats-Unis est celui par lequel d'un trait de plume, le gouvernement s'est porté garant du système bancaire. Comme pour tous les autres contrats foireux depuis dix ans, la planète entière tente de se persuader que celui-là sera honoré. Tout le monde ne veut-il pas sa part de rêve américain?
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