jeudi 4 février 2010

The Bloomberg Identity

David Reilly de Bloomberg, l'ami du blogo qui considère qu' "on ne pourra jamais savoir si Goldman Sachs aurait survécu sans l'aide de l'Etat en 2008", se met à trouver étrange l'étendue du pouvoir des banques qui a apparu au grand jour lors du bailout de 2008. via Zero Hedge. Il prend la précaution oratoire (sans laquelle tout discours s'avanturant dans ces eaux est disqualifié) de se distancer des "conspiracy theorists" de tous poils mais quand même: il est intrigué.

Jan. 29 (Bloomberg) -- The idea of secret banking cabals that control the country and global economy are a given among conspiracy theorists who stockpile ammo, bottled water and peanut butter. After this week’s congressional hearing into the bailout of American International Group Inc., you have to wonder if those folks are crazy after all.

Wednesday’s hearing described a secretive group deploying billions of dollars to favored banks, operating with little oversight by the public or elected officials.
...
Yet when unelected and unaccountable agencies pick banking winners while trying to end-run Congress, even as taxpayers are forced to lend, spend and guarantee about $8 trillion to prop up the financial system, our collective blood should boil.

(David Reilly is a Bloomberg News columnist. The opinions expressed are his own.)


C'est une manière curieuse de poser le problème. Il n'y a pas de conspiration secrète. Tout est très clair. Il ne faut pas chercher plus loin que l'emprunt à conditions préférentielles de Countrywide à Chris Dodd ou les financements de campagne des politiciens en général. Ca n'est pas une conspiration qu'il faudrait exposer et déterrer à la "Jason Bourne" (cf le titre alambiqué du post), c'est une crise politique en pleine lumière. David Reilly constate qu'il y a un problème mais en rapprochant cette simple constatation de la nébuleuse conspirationniste, on se demande s'il ne protège pas une fois encore la power structure. Ce qui serait "absolutely shocking" dans une opinion Bloomberg...

Note sur Bloomberg: le fait d'arme de Bbg depuis le bailout a été une action en justice pour obtenir de la FED des informations sur les fonds engagés. Il faut quand même noter que cette action n'en finit pas et qu'au moment où la juge Loretta Preska devait décider d'enjoindre ou non avant appel à la FED de rendre publiques ces informations (septembre 2009), Bloomberg a levé le pied si je me souviens bien. La vérité est que Bloomberg semble suivre la logique de tous les agents économiques: ne pas prendre de front ceux qui assurent sa subsistance. Parmi eux, les banques de Wall Street sont en première ligne. A noter que le journaliste qui a intenté l'action est mort depuis (de mort naturelle). Comme "The Economist" ou le FT, Bloomberg est une des sources d'information les plus intéressantes en matière économique mais "at the end of the day", il n'y a aucun doute sur la loyauté de ces organes de presse envers l'imperium US. Nous n'avons d'ailleurs à peu près rien à leur opposer en terme de compréhension et d'analyse du monde contemporain. C'est une des raisons de notre (ROW - Rest Of the World) incapacité à organiser un système alternatif même face à un système en faillite totale.

Nous sommes typiquement dans une situation où la capacité d'influence compte autant sinon plus que la force brute des grands établissements bancaires. L'infrastructure ne tient plus qu'à un fil et ce fil pourrait bien être le triptyque (FT, The Economist, WSJ). Non pas la "regulatory capture" des banques sur les politiques mais l' "intellectual capture" d'un monde incapable de s'affranchir de la domination américaine. Plus que jamais, ce sont nos cerveaux (alimentés par le triptyque, les agences de notations et les prix nobels d'économie US en tout genre) qui sont le dernier et le meilleur refuge de la domination US. Tant que nous ne nous autoriserons même pas à penser le multilatéralisme, des Etats-Unis même très affaiblis pourront continuer à dominer et à tirer profit de leur domination à très bon compte. Alors Sarkozy parle d'un nouveau Bretton Woods (où la place US ne peut-être que downgradée par rapport à l'ancien), Putin suggère aux chinois de larguer de la dette Fannie/Freddie mais en gros les grandes manoeuvres n'ont pas commencé. Car tout le monde veut croire que le système va tenir.

Good luck with that...

Projection du trésor américain:

The economy is projected to expand by 2.7 percent in 2010, but then pull at an above-average 3.8 percent in 2011 and rise above 4 percent for the following 3 years.

Par quel miracle exactement? Ces niveaux de croissance n'ont pu être atteints ces dernières années qu'au prix d'ajout de nitroglycérine dans le moteur (taux bas, subprime, housing bubble). Le complexe Wall Street-US Gov-Fed applique les mêmes méthodes mais n'est-il pas d'ores et déjà clair que le moteur est cassé? Ils essayent de regonfler un ballon qui a déjà explosé (voir l'immobilier ici). Pour cela, il faut un flux d'air permanent qui est ici le déficit budgétaire et la politique laxiste (euphémisme) de la FED. Cela ne peut pas bien se terminer.

Le plan Obama qui allait faire mal aux banques?

Et que cette fois, c'était pas pour rigoler et tout et tout?

Il rencontre une sérieuse opposition au Congrès. Notamment du sénateur Chris Dodd, l'époux d'une executive d'AIG (cette simple connection n'est pas répréhensible en soi mais la lecture de sa fiche wikipédia vous montrera que ce seul élément se trouve être un bon raccourci pour présenter le bonhomme, au milieu d'emprunt immobilier particulièrement favorable de Countrywide ("friend of Angelo") et d'appui répété à Fannie et Freddie alors ostensiblement en faillite).

Papandréou

Quand le premier ministre grec réalise piteusement qu'il n'est pas du côté du manche...

Premier George Papandreou said the spike in Greek borrowing costs was "completely unjustified" and lashed out at the rating agencies, which precipitated this crisis by downgrading Greek bonds.

"Greece is at the centre of an unprecedented speculative attack: we cannot be at the mercy of creditors. Despite our tragic mistakes, our fate is today defined by rating agencies that bear responsibility for the 'bubble' that led to the global crisis in the first place," he said.


Alors évidemment le blogo compatit (un peu) mais ça fait maintenant un an que je suggère que l'Europe se dote d'une agence de notation qui lui soit propre. Le but n'est pas de redéfinir des standards d'intégrité dans la notation mais de renvoyer une image mirroir sur les agences américaines de bête bras armé d'une politique économique et monétaire (ce qu'elles sont sans que le doute ne soit permis). Le premier ministre grec aurait pu y penser vu qu'il était alors bien évident que la Grèce allait être une des premières nations menacées. L'autre moyen pour ne pas se faire emmerder en premier et de ne pas être le plus mauvais élève de la classe.

Il est primordial que le système de résolution de la crise des PIIGS soit crédible et applicable de manière systématique à toutes les nations en quasi-défaut. Les autres pays membres doivent être impitoyables. La sortie de la Grèce doit être examinée (j'étais contre son entrée, ruse de Jospin qui avait inclus le club med largement pour diluer le monétarisme allemand dans les eaux méditerrannéennes). La France avait payé cher l'union monétaire (récession de mid 90s), le club med l'a eue gratosse. Le laisser-aller grec ne mène qu'à l'asservissement. C'est malheureusement un penchant très humain. Les grecs n'ont plus qu'à espérer que les grands pays vont la rejoindre dans la crise le plus vite possible. Un voeu qui pourrait bien être exaucé. Car il est clair que la Grèce est à la crise monétaire ce que les deux hedge fund de Bears Stearns qui ont sauté en 2007 ont été à la crise financière: un prélude. (NB: il y a eu l'Islande avant)

Graphe de la FED

L'agitation et les spreads sur les marchés de taux à court terme ont disparu. On est dans la situation de 2007: le risque a été aboli. En 2007, c'était un consensus de marché. En 2010, c'est le produit d'un diktat de l'Etat. Le premier n'a pas tenu. Le second ne tiendra pas. Pourquoi? Parce qu'en vrai, le risque existe. En 2008, les Etats ont repris à leurs comptes les risques privés comme chroniqué sur le Blogo à longueur de posts. Ce faisant, ils n'ont plus laissé à la réalité économique qu'un seul moyen de se manifester: la crise monétaire et le défaut des nations. Sans surprise et suivant un timing sans doute manipulé par les Etats-Unis (non, la situation de la Grêce n'a pas radicalement changé dans les six derniers mois), ces deux derniers éléments font en ce moment leur apparition. Happy 2010. A noter que le blogo n'a cessé d'annoncer cette "final demise" qui n'arrive toujours pas... Si on compare la crise économique à un tsunami, on en est au moment où la mer se retire avant que la grande vague ne frappe. J'ai entendu Peter Schiff dire aujourd'hui que pour chaque dollar de recette fiscale, l'Etat américain dépensait $1,6 (c'est peut-être calculé de manière exagérée mais ça n'est pas loin du compte). Et là vous me dites: "Mais si c'est si grave, pourquoi Jean-Pierre Pernault n'en parle-t-il pas?". It's a lonnnnng story...

Si vous préférez la version calme et posée de ce post (et donc forcément peu alarmiste), vous avez Mohamed El-Erian de Pimco en vidéo:

Ratigan s'énerve (encore et toujours)

Je suis d'accord avec ce discours sauf sur un point*: le mythe de la "tax payer's money". A écouter tous les commentateurs en rupture avec le système (ils sont peu nombreux comme souvent remarqué sur le blogo), tout l'argent qui va aux banques vient du contribuable. C'est vrai en théorie car c'est le taxpayer qui devra rembourser mais en pratique, ça n'est évidemment pas le cas. Les sommes irréelles (au propre et au figuré**) qui sont mobilisées pour sauver la power structure quelques mois de plus ne sont pas payées par le contribuable. Elles sont apportées par les chinois et de plus en plus créées par une écriture comptable de la FED (je soupçonne les achats chinois d'être financés de la même manière). Le taxpayer n'aura jamais à rembourser ces sommes. Il en serait de toute façon bien incapable. Il y aura une crise, peut-être des guerres, mais il y a une chose qui est sûre: cet argent ne sera jamais remboursé. Pourquoi faire semblant d'y croire? Parce que l'ordre social serait menacé.

C'est comme ça que nous nous sommes aujourd'hui installés dans un nouvel équilibre digne de 2007 où quelques esprits éclairés disent que tout va péter et que la grande majorité des MSM font semblant de croire que tout va bien. Et pendant ce temps-là, alors que depuis 3 ans des bilans auraient pu être tirés, des leçons apprises, on ne progresse absolument pas sur la compréhension de la crise. Ceux qui l'ont causé n'y ont pas intérêt. Le pari de ce blog est que ce status quo miraculeux pour Wall Street-US Gov-FED ne peut pas durer. Stay tuned.

* Comme les lecteurs le savent, je ne suis aussi pas très à l'aise avec le chiffre de $24 trillions donné par Ratigan. A tout prendre, il reflète cependant mieux la réalité que l'absurde $700 milliards qu'on jette en pâture à l'opinion publique en la trompant sur la réelle étendue de l'aide accordée aux banques américaines et internationales (jusque dans le film de Michael Moore).
** Peut-on distinguer le propre et le figuré pour l'adjectif "irréel". El Blogo fait le pari que oui. Je ne crois pas que la réponse soit évidente. Les commentaires sont les bienvenus.