mardi 20 janvier 2009

La naïveté confondante de Paul Krugman

J'aime bien Paul Krugman. Il est l'un des rares américains avec une véritable tribune qui ait résisté à l'orwellienne hystérie pro-guerre de début 2003. Ca n'était pas le plus en pointe sur la crise économique mais il était du bon côté de la barrière. Il a fait un édito il y a trois jours, courageux à nouveau, qui demande à ce qu'on n'amnistie pas "de fait" les crimes bushistes en ne les poursuivant pas. Sur la guerre et sur les crimes de Bush, il refuse d'entrer dans le consensus convenu washingtonien et c'est assez rare pour être remarqué. En plus dans son dernier édito, il se prononce, comme le blogo il y a trois mois (sinon ça ne serait pas le blogo) pour une nationalisation des banques. Alors pourquoi suis-je furieux? Parce qu'il omet dans sa dénonciation des solution trouvées à la crise (TARP etc...) de relever la collusion scandaleuse entre les politiques et les banques. Est-ce un manque de capacité d'observation ou (plus probablement) un manque de courage? En tout cas, c'est très décevant et c'est une attaque frontale contre les positions du blogo (peut-être qu'il ne le lit pas mais google analytics me dit que je score très bien avec les prix nobels d'économie donc ça m'étonnerait).

Alors voilà: dans son dernier édito Krugman nous explique comment l'Etat tente de résoudre la crise et pourquoi il pense que cette solution n'est pas la bonne. C'est didactique et divertissant mais j'ai un gros problème avec la naïveté stupéfiante des conclusions qu'il tire (il vaut mieux lire l'édito pour le contexte):

What I suspect is that policy makers — possibly without realizing it — are gearing up to attempt a bait-and-switch: a policy that looks like the cleanup of the savings and loans, but in practice amounts to making huge gifts to bank shareholders at taxpayer expense, disguised as “fair value” purchases of toxic assets.
Traduction abrégée: "Les politiques, peut-être sans s'en rendre compte, font un cadeau aux actionnaires des banques aux dépens du contribuable."

Je veux dire, là, c'est juste pas possible! Paul Krugman, prix nobel d'économie, n'est pas capable de "connect the dots" et de voir comment le bailout est le produit d'un système corrompu jusqu'à la moëlle où il n'y a virtuellement aucune divergence d'intérêts entre la classe politique et les banques? Il ne voit pas que cette crise n'a été possible que grâce à la démission généralisée du personnel politique qui a refusé d'exercer sa fonction de régulation? Fannie Mae et Freddie Mac arrosant le personnel politique (dont Rahm Emanuel, nouveau directeur de cabinet d'Obama), ça lui a échappé? Le PDG d'Ameriquest qui se reconvertit en ambassadeur aux Pays-Bas grâce à ses généreuses contributions de campagne, pas vu? La loi sur les faillites personnelles qui est rédigée par les credit card companies en 2005 (avec le concours du nouveau Vice President, Joe Biden), ça lui a échappé? Les plus grosses contributions de campagne venant des Wall Street, ça ne ring pas a bell? Les banques qui freinent des quatres fers contre toute tentative de régulations des prêts "subprime"? Etait-il sur une autre planète ces dernières années ($120 milliards de bonus en 5 ans pour 5 firmes)?

"Possibly without realizing it"? Avec le TARP dirigé par un jeune gars de 35 ans venu tout droit de chez Goldman Sachs et voté préférentiellement par les représentants touchant le plus d'argent des banques*? Parrainé par Hank Paulson ancien président de GS? C'est du second degré? J'espère, sinon c'est la première fois que je trouve Krugman atterrant. L'Etat n'a pas repris les banques en main comme le suggérait le blogo au moment du bailout plan car il a partie liée avec les banques. C'est bien simple, on ne peut tout simplement plus faire la différence! L'Etat essaye de préserver la continuité du pouvoir financier au travers de la crise dans l'opacité la plus totale alors qu'il devrait au contraire le sanctionner au grand jour et en organiser le renouvellement (comme suggéré ici). Avant la crise, les banques achetaient les politiques pour que ces derniers ne les empêchent pas de faire de l'argent frauduleusement et tranquillement. Depuis la crise, gagner de l'argent frauduleusement n'est plus possible alors les banques achètent les politiques pour qu'ils leur donnent directement l'argent du contribuable. C'est cet écosystème, qui se nourrissait sur l'endettement privé, qui a été sauvé in extremis par Paulson et qui se nourrit désormais sur l'endettement public (ou qui essaye plutôt de faire croire qu'il y parviendra le plus longtemps possible).

Alors Krugman devrait arrêter d'ouvrir ses grands yeux candides de petits garçons de dix ans et poser un regard adulte sur la situation (même s'il doit y perdre des chances de rallier l'administration Obama). Il devrait identifier les Etats-Unis pour ce qu'ils sont: un empire cédant sous le poids de sa propre corruption. Un empire qui ne traverse pas qu'une simple crise économique mais bien une crise politique.

* Sur le vote du TARP: "October 3, 2008 4:26 PM. House members voting for the bailout Friday have collected 41 percent more than opponents from the industries most eager for emergency aid. Senate vote was similarly divided."

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