vendredi 14 août 2009

Retour de vacances (post écrit mardi)

Bon, j'ai deux semaines de retard de lectures et je ne garantis pas que les nouvelles dans ce post seront de première fraîcheur. De plus, je suis dans le train sans internet ce qui est une excuse pour laisser vagabonder son esprit et ne pas faire de liens pour renforcer ses assertions. So here it is...

Cela fait maintenant deux ans que la crise a commencé. J'ai assisté à une conférence sur les produits titrisés basé sur des avions au printemps 2007. Dans une salle comprenant 200 à 250 personnes, un des intervenants a demandé à l'assistance combien de personnes anticipaient un retournement de la conjoncture en 2007. Trois ou quatre mains se sont levées. Il se trouve que l'organisme qui date les récessions aux Etats-Unis a fait démarrer celle-ci en décembre 2007. Après des années de record de prises de commande auprès d'Airbus et de Boeing, il pouvait sembler évident que le marché de l'aviation civile était chauffé à blanc. 1000 avions commandés par constructeur environ en 2005 et en 2006 alors que la capacité maximale de production n'avait jamais dépassé 500... Un avion à lui seul avait battu tous les records: le 787 de Boeing. Après plus de 15 ans sans avoir mené à bien un nouveau programme en partant d'une feuille blanche, Boeing allait simultanément révolutionner la technologie (composite) et la méthode de production (sous-traitance massive dans le monde entier, au Japon et en Italie notamment). Le tout en 4 ans. Toutes les compagnies aériennes du monde ont mordu à l'hameçon. L'Amérique toute puissante peut tout vendre, des avions en plastique au subprime, rien n'est impossible.

Il y a deux ans, la foi du Rest Of the World (ROW) dans l'hypercompétence américaine est totale. Oh bien sûr, il y a eu la guerre en Irak et il y avait George W. Bush. Mais déjà la vague républicaine était en retrait (perte de la majorité en 2006) et le vent politique a tourné. La guerre en Irak a déplu mais personne ne doute réellement du fait que les américains peuvent se la payer. Personne n'a encore compris que cette guerre est le symptôme du fait que la démocratie américaine est cassée. Depuis des décennies, l'extension du pouvoir des lobbies a fini par confisquer leur démocratie aux citoyens américains sans qu'ils en aient encore vraiment conscience. Cette conscience se forme en ce moment, dans la douleur comme il se doit.

Il faut dire qu'à l'époque, la vie est belle. La prospérité économique est réelle. Il est facile de trouver un emploi. Il est surtout extraordinairement facile d'emprunter. En attirant des ressources venues du monde entier, les élites américaines ont conçu un Ponzi scheme réellement prodigieux qui garantit au plus grand nombre un niveau de vie sans équivalent dans le monde. Evidemment, on peut d'ores et déjà se demander si les américains rembourseront un jour les sommes astronomiques qu'ils ont empruntées mais qui peut réellement mettre en doute l'hyperpuissance sans risquer le ridicule? (certains l'ont fait comme Emmanuel Todd).De quoi les citoyens américains peuvent-ils se plaindre? On leur prête sur leur bonne mine. En 1999, il faisait meilleur travailler pour Enron que pour EDF. Les américains travaillent métaphoriquement pour Enron: un système frauduleux et voué au crash mais qui rémunère beaucoup mieux que les alternatives. Les élites se rémunèrent grassement au passage avec du capital qui fait assez masse pour résister en partie à la crise qui vient (ce qui n'est pas le cas des américains dans leur ensemble) mais en tout cas, le confort est réellement partagé par presque tous.

Et peut-on blâmer les américains? Ces capitaux qui affluent vers eux sont la conséquence de leur domination de nos esprits. Le monde et les autres zones économiques n'auraient-elles pas dû échapper à cette logique du "winner takes all" qui les desservait évidemment? Fallait-il réellement des prix nobels d'économie dans les banques allemandes pour déterminer que les prix de l'immobilier aux Etats-Unis étaient aberrants? Non. Il fallait simplement plus de banquiers indépendant d'esprits qui n'aient pas l'impression de lire la vérité révélée dans les pages du triptyque (Wall Street Journal, The Economist et Financial Times). Si un pouvoir se déploie sans jamais rencontrer de contestation, il est normal qu'il devienne absolu puis corrompu. C'était la responsabilité du ROW de maintenir les Etats-Unis en respect et l'échec a été absolument lamentable. C'est toujours le cas aujourd'hui. La phase aigüe de la crise ne sera atteinte que quand le ROW tirera finalement les conséquences de l'ampleur du Ponzi Scheme américain. Pour l'instant, tout le monde tente de mettre la poussière sous le tapis et de faire comme si de rien n'était mais la conviction du Blogo et que le mal est trop profond pour que ces efforts inouïs suffisent à créer un nouvel équilibre sans qu'on passe par la case "réformes massives".

Car il ne faut pas se leurrer: la crise n'a donné lieu pour l'instant qu'à des réformes structurelles absolument risibles. Toutes les contraintes pesant sur les établissements financiers ont été relâchées contre absolument aucune concession en retour. Même le marché des CDS n'a pas évolué et fait l'objet d'une lutte aux coûteaux (ou au moins d'un débat) entre les lobbyists des banques et les hommes politiques (qui sont souvent les mêmes, c'est dire si le débat est compassé).

Et c'est tout le problème de la réaction des politiques à cette crise qui se pose désormais. Le système bancaire mondial a fait faillite. Il faut mesurer ce que cela représente pour le personnel politique. La plupart des politiques mondiaux (qui s'occupent de finance) lisent le Financial Times et The Economist. Autrement dit, ils n'ont aucune idée de ce qui se passe réellement. Steven Colbert se moquait de Fox News en disant: "On Fox News, you have both sides of every issue: the President side [Bush], and the Vice-President side [Cheney]". On pourrait dire la même chose du triptyque: " You have both sides of every issue, the Goldman Sachs side, and the Morgan Stanley side". Le pouvoir politico-financier qui a émergé ces trente dernières années a produit son propre discours auto-justificateur dont nous sommes abreuvés et dont nous acceptons, consciemment ou non, beaucoup de présupposés. La presse économique française a pour tête de file Les Echos qui appartient au même groupe que le Financial Times.

Que fallait-il faire? Beaucoup de gens pensent que les autorités américaines ont géré au mieux cette crise. Le triptyque nous dit que la seule erreur commise a été de laisser sombrer Lehman Brothers. (Ne pas sauver une bande de gars en costard Paul Smith? Quelle horreur!). C'est un sujet compliqué car nous laissons chaque jour au bord de la route des scénarios alternatifs sur lesquels nous ne saurons jamais rien en termes de résultats. Ce qu'on sait de façon certaine c'est que quand il s'est agi de faire quelque chose, une seule voie a été entendue par les responsables politiques : celle des banques. Le contrôle de l'exécutif américain par les banques (au moins sur le sujet des banques) est apparu au grand jour (cf Paulson et AIG) mais aussi du législatif car après avoir d'abord refusé de voter le TARP, les représentants politiques américains l'ont accepté à la condition qu'un septième de l'argent promis aux banques soit dépensé en plus pour leurs sponsors à eux (circonscriptions mais surtout lobbyists amis). Cela donne une idée du rapport de force. A noter que le Sénat s'est une fois de plus distingué par son caractère ridiculement pro-banques en autorisant le TARP immédiatement. On se demande bien ce que les sénateurs, ploutocrates parmi les ploutocrates ($8,9 millions en moyenne, 62% de millionaires contre 1% dans la population), auraient bien pu refuser à Wall Street.

Le pouvoir politique a également eu peur et les banques (Paulson en tête) ont tout fait pour les terroriser. D'abord en septembre, dans la panique, puis en mars en obtenant une reddition complète d'Obama avec une bourse tombée extrêmement bas (notamment les valeurs bancaires). Le relâchement des normes comptables a alors complètement détendu l'atmosphère. L'idée du blogo est que l'Etat, responsable en dernier ressort de la survie économique de la collectivité aurait dû nationaliser les banques. Il ne s'agissait pas d'une action mais plutôt d'un constat: les banques ont fait faillite. Leurs directions, leurs méthodes, leurs stratégies avaient conduit à un enrichissement sans borne puis à un échec patent qui condamnait le contribuable à casser des cailloux pendant des années (quelle que soit la méthode retenue pour aller de l'avant). Rechigner à épurer les banques fautives (criminelles souvent) n'était pas seulement un aveu de faiblesse politique, c'était aussi une simple erreur de gestion qui va poursuivre Obama pendant des mois ou des années selon la gravité de la crise. Le blogo pense toujours que le status quo et la renaissance des banques ne peut pas et ne va pas durer et, comme en juin 2007 j'ignorais que la crise allait faire les gros titres 2 mois plus tard, je ne serais pas étonné si nous étions assez proches d'évènements aussi spectaculaires. Je vais essayer d'étayer cette position dans les semaines qui viennent. A court terme, la stratégie d'Obama semble avoir fonctionné mais c'est un leurre.

Une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand chose. La crise est entrée dans sa phase complexe. Avant (en 2007) il y avait une bulle de l'immobilier qui allait éclater. Le monde était simple. Désormais, la réalité et les scénarios possibles sont infiniment plus nombreux. Le but du blogo va donc être d'essayer d'interroger cette nouvelle réalité et d'essayer de déterminer quand et comment les choses vont brusquement s'aggraver. Il faut désormais partir du principe que les Etats, les banques centrales, les régulateurs et la presse économique conspirent à maquiller la réalité des pertes et de la solvabilité des Etats (à commencer par l'Etat américain) qui se sont portés garant d'absolument toutes les dettes pourries contractées pendant le boum. Les indicateurs seront notamment la facilité qu'auront les Etats à placer leur dette, la matérialisation de l'inflation longtemps annoncée (sur le blogo aussi) et toujours absente. L'idée de base est de ne faire confiance à personne. Le postulat est que les Etats (l'Etat américain en particulier) a pris en charge trop de risques et qu'avec la complicité d'un ROW vassal, tout va être entrepris pour que cette fiction perdure le plus longtemps possible en espérant qu'en faisant les équilibristes assez longtemps, le problème disparaîtra finalement sans que les élites responsables du marasme n'en soient affectées. Je postule donc que les Etats, les banques centrales, les banques (!) sont tous rentrés dans un jeu de poker menteur non pas par choix mais par obligation.

L'intérêt de l'Europe n'est pas évident. Le sens de l'histoire et sa diversité politique ne lui permet pas d'envisager un rôle hégémonique à l'américaine. On peut d'ailleurs se demander si elle doit embrasser le changement (la destitution des Etats-Unis pour un monde multi-polaire) ou si son intérêt est de rester le petit frère de l'empire (perd-elle plus d'influence en abandonnant le rôle de second de l'empire qu'elle ne gagnerait en partageant de manière égale avec le reste de la planète les prérogatives américaines?). De toute façon, l'heure n'est plus à pleurer sur le lait renversé et je pense pour ma part que l'Europe doit pousser dans le sens d'une nouvelle organisation mondiale. Pas par anti-américanisme mais parce que le système américano-centré NE MARCHE PAS*! Trop de capitaux sont détournés vers les Etats-Unis, la puissance militaire y est trop concentrée.

La vraie crise est donc devant nous. Ce que j'appelle la vraie crise n'est pas quantifiable par une chute du dow jones ou une baisse du dollar. C'est plus simple que ça. Deux éléments annonceront pour moi qu'on a passé la crise: la baisse de l'endettement américain (tout confondu) et la baisse du budget militaire. Tant que l'endettement continue (plus pour les particuliers mais par l'Etat pour soutenir essentiellement les banques) et que le budget militaire augmente, tant que le ROW n'aura pas dit non une bonne fois à l'Amérique, la situation ne pourra que s'agraver. Car c'est bien cela qui est testé: notre capacité à nous organiser collectivement au niveau mondial autrement qu'autour de l'hégémon. L'expérience de l'Union Européenne est très certainement digne d'intérêt dans cette perspective. Le système craque de toute part mais tant qu'on ne construira une alternative, la déliquescence et la faillite de la structure de pouvoir américaine peut nous entraîner très bas. Penser une seule seconde qu'elle va se réformer d'elle-même sans contrainte extérieure me paraît complètement irréaliste. Le retour sur terre risque cependant d'être douloureux et donc dangereux.

A la fin des fins, il faut que ces courbes baissent (bleue et verte - la rouge baisse déjà et il faudrait qu'elle monte...):
(comme pour toutes les images sur le blogo, cliquez pour agrandir)
* Quelle ironie d'utiliser finalement contre l'empire l'argument (supposément pragmatique) qu'il a utilisé pendant des années pour justifier sa domination: mon système fonctionne mieux! Blair par exemple qui n'était "ni de droite, ni de gauche mais pour ce qui marche". Et bien il s'avère que ce qui marche ne marchait pas! How about that?

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