Le Département d'Etat et la Maison blanche sont distants d'environ un kilométre. Si vous tracez un trait entre les deux sur une carte, au milieu vous allez tomber sur... le FMI. Alors on a beaucoup glosé avant l'affaire sur le rôle "fantastique" de DSK dans cette institution mais il faut être raisonnable: l'adjoint de DSK était un américain et le FMI est un instrument du pouvoir américain dans le monde, un des bras armés de l'Empire.
Pour ce qui est du "génie" économique de DSK il faut également relativiser. Cette formule est souvent employée à tort avec des "starifications" à l'emporte-pièce. On disait de Raymond Barre qu'il était "le meilleur économiste de France". Peut-on imaginer formule plus obséquieuse et plus absurde? La crise nous a démontré que la notion même de "bon économiste" voire d'économiste tout court était très contestable. En effet, la théorie économique et le commentaire économique sont presque exclusivement la chasse gardée de personnes qui sont sous l'influence des banques directement ou par la médiation de la sphère académique (sur laquelle pèse la FED). La meilleure preuve de ceci est la réaction médusée d'à peu près tout le monde devant la crise en 2007 alors que les Etats-Unis mettaient sciemment de la nitroglycérine dans le moteur depuis le 11 septembre 2001.
Les institutions monétaires et économiques qui fondent l'Empire sont parmi les plus obscures pour la population (à dessein). Pour qu'elles soient respectées religieusement, il est essentiel que les personnalités qui les dirigent soient incontestées, voire adulées. C'est pour ça que si le jeu démocratique organise un débat de plus en plus convenu entre la droite et la gauche, il y a une "métasphère" qui ne rencontre jamais la contradiction et qui isole les vrais centres de pouvoir de la critique tout autant qu'ils le sont en Corée du Nord ou en Chine communiste.
J'ai une expérience de première main en la matière. J'ai eu dans ma scolarité un professeur qui est devenu membre du Federal Reserve Board. Son cours m'avait ennuyé, il se noyait dans des anecdotes, il balbutiait, se reprenait ou perdait le fil de son discours. Pas charismatique, pas captivant. Et quand j'ai lu la dépêche Bloomberg concernant la nomination du bonhomme, je n'en ai pas cru mes yeux: c'était une hagiographie. J'avais l'impression que le gars était un super-héro auquel il ne manquait aucune qualité morale en plus d'être dans l'antichambre du Nobel (prix dont il faut également relativiser la valeur à l'aulne des évènements récents). L'expression qui m'avait frappé dans ce portrait de Bloomberg était "intellectual powerhouse".*
Depuis, et c'était en 2007, j'ai un regard particulièrement critique sur la manière dont sont traités les personnages qui ont pour rôle de diriger les institutions clés de voûte de l'empire. Et je n'ai pas été déçu quand Bernanke a été nommé "homme de l'année 2009" par Time Magazine qui choisit alors pour sa couverture une iconographie digne de la Corée du Nord:
Rappelons que cet homme ne s'était pas contenté de ne rien voir venir au sujet de la crise immobilière: il avait spécifiquement nié à plusieurs reprises que le secteur présentait le moindre problème. L'histoire qui reste à écrire est que Greenspan et lui ont présidé à une politique consciente d'encouragement de la bulle immobilière qui visait à donner aux américains l'illusion de la prospérité au moment même où on les lançait sans espoir de retour dans la "Guerre Contre le Terrorisme", un des concepts les plus ridicules de l'histoire des relations internationales.
J'invite donc les lecteurs du blogo à se méfier. L' "excellent économiste" DSK n'a produit aucune oeuvre pendant 23 ans entre 1977 et 2000 et ses oeuvres récentes relèvent plus de la littérature politique écrite à 24 mains que de sommes sur l'économie comme Raymond Barre en avait écrit (un économiste au sens strict même si je ne cautionne pas non plus sa béatification à l'époque).
Une autre personne qui semble marcher dans les pas de DSK est Christine Lagarde, pressentie pour prendre sa succession. Avocate de formation, elle a une compétence "unanimement" reconnue comme Ministre de l'Economie. Le Financial Times lui tresse des couronnes depuis quatre ans. Elle a un anglais impeccable et elle est complètement formattée à un environnement professionnel anglo-saxon. Si elle est nommée, vous allez voir surgir partout des articles hagiographiques sur sa "très grande maîtrise" des dossiers économiques, le fait qu'elle est une "quick learner" et que rien ne lui échappe des subtilités des "CDO square" les plus machiavéliques. Les politiques ont besoin de cette image de compétence et les vieux médias sont heureux d'apporter leur pierre à la qualité de vie de ces grands hommes. Si une forme de compétence existe, on la magnifie, si elle fait défaut, on l'invente.
C'est comme ça que le système marche.
Note: Sans même parler du ministre du budget François Baroin qui répète sans cesse à la radio ce qu'il a compris de ce qu'on lui a expliqué de son métier: "il faut faire plaisir aux agences de notation sinon on va se faire taper sur les doigts." Way to go, François. Avez-vous déjà lu un article questionnant sa compétence? (je veux dire autre part que sur le blogo).
* Il s'agissait de Frederik Mishkin, complètement ridiculisé dans le documentaire "Inside Job" pour avoir écrit un rapport dithyrambique sur l'économie islandaise en 2006. Tous les gens qui ont vu inside job n'auront aucun mal à comprendre mon scepticisme quand j'ai lu les éloges de Bloomberg suite à sa nomination.
vendredi 20 mai 2011
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